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milliers d’adhérens. On a pu se convaincre aux dernières élections de Copenhague, au mois de septembre, des progrès du mal. Après avoir étendu son action par plusieurs sociétés, dont la plus active semblait être celle de la petite ville de Horsen, et par un journal intitulé le Socialiste, l’Internationale osa espérer certains succès par le vote populaire. Contre le parti national-libéral, dont les représentans très distingués s’appelaient M. Bille, longtemps rédacteur d’un journal important, le Dagblad, — ou M. Rimestad, ou M. Hall, l’ancien ministre des affaires étrangères, elle s’unit avec la gauche, et elle improvisa, dans les circonscriptions de Copenhague où l’on rencontrait le plus grand nombre d’ouvriers, des candidatures ouvrières. Bien plus, elle fit choisir pour ces candidatures des condamnés actuellement sous les verrous, ceux qu’on appelait dans le parti les martyrs de la bonne cause, et la paisible ville de Copenhague vit fleurir et se multiplier les réunions électorales ; un M. Würtz, fabricant de cigares, président de la section danoise de l’Internationale, avec un cortège d’élite, venait échauffer les esprits et renforcer les voix. C’était là qu’on posait les candidatures de M. Louis Pio, de M. Paul Geleff, ces « victimes des bourgeois. » Le directeur de la police ne consentait pas malheureusement à élargir ses prisonniers pour leur permettre de venir faire des harangues, et il ne leur restait qu’à répandre de la prison leurs professions de foi en grand nombre ; mais les frères et amis les commentaient dans les clubs, et chaque matin le journal le Socialiste enregistrait d’innombrables adhésions, signées des noms les plus inconnus, aux doctrines énoncées. Il terminait toujours par quelque tirade semblable à celle-ci, que nous lui empruntons : « Travailleurs ! l’heure de votre délivrance approche ; le grand jour est arrivé. Pendant des siècles, le travailleur danois a gémi sous l’esclavage et l’oppression ; tous ils le tenaient courbé sous leurs talons, pas une voix ne s’élevait pour lui ; mais maintenant il va élire des hommes qui plaideront sa cause et la feront triompher en dépit de la haine et de l’envie, en dépit de l’insulte et de la persécution. Travailleurs, vos chefs comptent sur vous ! » On voit par ces lignes que l’éloquence démagogique est partout la même, comme seront partout les mêmes les maux qu’elle engendrera. L’Internationale n’a encore remporté à Copenhague aucun des triomphes que dès maintenant elle y rêvait. M. Louis Pio, dans la cinquième circonscription de Copenhague, comprenant un grand faubourg et beaucoup d’ouvriers, n’a obtenu que 199 voix contre 1,142 données à son adversaire ; M. Paul Geleff n’a eu que 26 voix contre 929, et ainsi des autres ; mais ce premier essai n’en a pas moins eu du retentissement. C’est beaucoup trop que, dans le district où un homme comme M. Hall avait été vingt ans député, on ait osé lui