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un esprit plus ouvert, plus attentif aux analogies, aux infiltrations secrètes, aux intimes concordances des traditions et des langues diverses. Des vues nouvelles et inattendues se sont montrées, parmi lesquelles le lecteur, s’il ne s’arrête pas à l’une d’elles, trouve quelquefois les indices d’une solution qui lui sera propre. La science allemande est intempérante ; on a le droit de l’en blâmer, sans oublier toutefois que, si les visées en sont ambitieuses et lointaines, alors même qu’au point d’arrivée on regrette quelque déception, elle a d’ordinaire singulièrement varié et fécondé la route. Jacques Grimm n’en est pas moins admirable dans ces deux livres et dans sa Grammaire, où il reconstruit tout le système des langues indo-européennes. Il a donné la philologie pour guide à la mythologie comparée ; la rigueur scientifique s’introduira dans ces belles études à mesure que s’affermira et s’étendra notre connaissance des langues et des littératures orientales. On peut s’en convaincre déjà en lisant les travaux plus récens de M. Max Müller en Angleterre ; il semble avoir emprunté au génie de la grande nation par lui adoptée comme seconde patrie une précision de vues et de langage trop souvent refusée à ses anciens compatriotes[1]. L’influence de la France dans ces hautes études ne fera pas défaut non plus, et le pays d’Eugène Burnouf, ce philologue de génie, voit se continuer une école qui a déjà produit des travaux marqués au coin de la plus saine critique et de la meilleure érudition.


I

Il s’en faut de beaucoup assurément que les informations de Tacite sur la religion des Germains soient satisfaisantes. Divers motifs l’empêchent d’avoir une vue nette à ce sujet ; le plus grave est son attachement au culte traditionnel de Rome. Qu’on relise, au quatrième livre de ses Histoires, la page célèbre où il raconte le rétablissement du Capitole par Vespasien. Nulle part n’est plus visible le respect du patriote romain pour le droit pontifical et le droit augural, pour les cérémonies du culte réservé aux dieux tutélaires de l’empire. Au prix de ce culte seulement, suivant la doctrine transmise par les aïeux, la protection de ces dieux pourra être acquise. Tacite n’accepte plus sans doute avec une entière sécurité de croyance les vieilles légendes concernant Jupiter, Mars, Hercule et Junon ; ses attaches avec l’école stoïcienne l’ont initié aux maximes d’une morale universelle. Malgré tout cependant, il prend au pied de la lettre et les prescriptions du contrat qui, suivant les idées du

  1. Voyez la Science du langage, traduite par MM. Barris et G. Perrot ; 3 vol., 1867.