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II

Quoi qu’il en soit des appréciations de Tacite, des conjectures souvent hasardées que ces appréciations ont fait naître, et des identifications plus ou moins rigoureuses que l’érudition moderne croit pouvoir instituer, il y a un résultat hors de doute : c’est que nous retrouvons, sous les dénominations classiques, les principales divinités de l’odinisme. Odin, Thor ou Donar, et Tyr ou Zio forment une sorte de trinité qui paraît avoir été pendant plusieurs siècles l’objet d’une adoration constante de la part des peuples du nord, et à laquelle se rapportent une foule d’indications qui deviennent les commentaires directs des assertions de Tacite. Encore au XIe siècle, Adam de Brême raconte qu’il y avait en Suède, à Upsal, un temple célèbre contenant les statues de trois principales divinités, les mêmes sans doute qui ont été soupçonnées par l’historien romain. Jusque dans notre temps, on peut visiter près de cette ville trois tumulus, dont l’un, ouvert il y a une quinzaine d’années, contient des restes de sépulture. Ces trois tertres sont populaires, et la jeunesse des universités s’y réunit en fêtes à de certaines époques, parce que, suivant la tradition, ce sont là les tombeaux des trois grands dieux de l’antiquité Scandinave. Or deux de ces divinités sont précisément Odin et Thor ; la troisième portait le nom de Frey, que nous avons vu attribué, sous sa forme féminine, à une déesse barbare entrevue par Tacite.

Mais ce n’est pas assez d’avoir démontré à quelle religion se rattachait la race germanique ; la critique moderne peut nous éclairer sur les origines de cette religion et par là même sur les origines de cette race. Nous avons, en commençant, fait un vrai mérite à l’historien d’avoir compris ou du moins pressenti qu’il devait joindre ensemble deux questions en effet connexes, le problème religieux et le problème ethnologique. Ni l’un ni l’autre ne pouvait être dans l’antiquité entièrement résolu. Les assimilations que Tacite imaginait entre les dieux classiques et les divinités de la Germanie avaient une certaine justesse, mais par des rapports généraux et lointains qu’à coup sûr il ne soupçonnait pas, ignorant la solidarité de race des Germains et de Rome elle-même avec les grandes nations de l’antique Asie. Quand il nous dit que les Germains étaient autochthones, ce n’est là qu’une de ces réponses orgueilleuses dont se couvrait l’ignorance des anciens, à moins que ce ne soit l’écho de certaines cosmogonies faisant naître les premiers hommes du sol même, ou du roc, ou des arbres : Tacite est probablement l’organe de pareilles traditions quand il nous par le du grand dieu Tuisco, né de la Terre, ou même quand il nous dit que la forêt vénérée des