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utile et ne pas tenir à une vaine possession. Il importe peu d’avoir sur une plage lointaine des stations entretenues à grands frais, créations factices qui n’ont d’autre raison d’être que la volonté des gouvernemens dont elles dépendent. Posséder quelques points du littoral n’est rien, si l’on ne s’attache les habitans indigènes par les bienfaits du commerce et une bonne administration.

À ce point de vue, qui nous paraît juste, si l’on met à part cinq ou six stations dont l’importance militaire est incontestable, il ne reste plus à considérer dans le système colonial de l’Angleterre que les trois groupes principaux qui ont été décrits dans la première partie de cette étude, la Dominion du Canada, I’Australasie et le cap de Bonne-Espérance, et par une remarquable coïncidence ces provinces ne tiennent plus à leur mère-patrie que par un lien fragile, puisqu’elles se gouvernent et s’administrent à leur gré. A leur égard, le souverain de l’empire britannique n’exerce plus qu’une prérogative, il nomme les gouverneurs ; le parlement britannique ne conserve qu’un droit mal défini, il annule les décisions des parlemens locaux lorsque ceux-ci se mettent en contradiction ouverte avec les lois de l’empire. Telle étant la situation entre la métropole et ses colonies, le premier devoir de celles-ci est évidemment de pourvoir elles-mêmes à leur sécurité. On a dit plus haut quelle organisation militaire les colonies australasiennes se sont donnée. Le Cap est un peu en retard sous ce rapport en raison de son état transitoire. Quant à la Dominion du Canada, l’Angleterre vient d’en rappeler ses troupes jusqu’au dernier soldat. Ce n’est pas à dire que la confédération canadienne reste sans défenseur ; elle compte, dit-on, 45,000 hommes d’armée régulière, 600,000 miliciens embrigadés, 75,000 matelots, les meilleurs marins de l’Amérique, qui concourraient au jour du péril à la défense de la patrie commune. Ne serait-ce pas suffisant, même en face d’une attaque de l’Union américaine ? Certes ce serait assez, à moins toutefois que les colons ne fussent complices des assaillans. Ce sont les intérêts, non les garnisons ou les forteresses, qui font la prospérité des colonies ; ce sont aussi les intérêts qui les rendent fidèles à la mère-patrie et les protègent contre les puissances rivales. L’histoire nous le montre. Au XVIIe siècle, les flibustiers occupèrent Maracaïbo, Carthagène et la Vera-Cruz, sans porter une atteinte sérieuse à la domination des Espagnols, qui, cent cinquante ans plus tard, furent expulsés de l’Amérique par les créoles eux-mêmes.

En somme, il y a quelque chose de si bizarre dans la situation respective de la Grande-Bretagne et de ses colonies parlementaires qu’il vaut la peine de s’y arrêter un peu. Voilà des provinces peuplées de sujets britanniques qui supportent toutes les charges de leur gouvernement civil et de leur armement, qui répudient toute