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as me viennent, nous partagerons. » Les as lui vinrent, mais il ne partagea point.

Le destin de la France est singulier. A cent trente ans de distance, elle est tombée dans les mêmes fautes et en a reçu le même châtiment. Au XVIIIe siècle, elle aidait le grand Frédéric, qui lui a infligé la honte de Rosbach. Au XIXe siècle, elle a provoqué l’agrandissement des Zollern, qui lui ont infligé le désastre de Sedan. En 1740, entraînée par des politiques étourdis et malgré tous les conseils de la sagesse, au mépris d’engagemens solennels envers l’Autriche, elle a soutenu l’héritier, alors obscur et modeste, de la couronne de Prusse se jetant sur les domaines de la maison d’Autriche, tombés aux mains d’une femme dont l’étoile des Habsbourg fit Marie-Thérèse. Honteuse après coup de sa funeste équipée et d’avoir été trompée par l’homme habile dont elle avait cru faire un simple instrument de sa fausse politique, elle ourdit une coalition redoutable pour étouffer le serpent qu’elle avait réchauffé et nourri ; mais ce serpent se trouva être un puissant génie, et la France, après la guerre de sept ans, dut se croire heureuse de se tirer du mauvais pas avec la honte nouvelle d’une déconvenue politique et le sacrifice d’une colonie peuplée de ses plus chers enfans. De même de nos jours elle a provoqué la Prusse à imiter le Piémont, la Prusse, qui longtemps recula devant cette aventure, qui s’offensa même des premières ouvertures qui lui en furent faites. Soyons au moins prudens après coup, s’il n’est trop tard, et profitons de si cruelles expériences.

Frédéric II a connu toutes les grandeurs, celles de l’esprit, celles de la guerre et celles de la politique ; il a connu aussi toutes les chances de la fortune, et, dans des luttes désespérées, il a étonné l’Europe par les ressources de son génie. Je ne veux point raconter après lui l’histoire de son temps, qu’il a écrite avec une grande liberté. Qu’il me soit permis seulement de remarquer qu’après avoir paru antipathique à l’esprit militaire de sa race, il en a repris les traditions au moment même où il en recueillait l’héritage. S’il a changé l’art de la guerre et l’équilibre de l’Europe, il n’était pas le maître de changer les conditions de son existence politique : elle était née de la guerre, il fallait la soutenir et la compléter par la guerre. L’inaction des troupes prussiennes et leur splendeur toute pacifique pendant le règne de son père avaient compromis la considération de l’armée du grand-électeur et mécontenté la noblesse, qui faisait du métier des armes l’application de sa vie. Ainsi on a vu en 1855 la noblesse prussienne donner des inquiétudes à l’élève d’Ancillon, Frédéric-Guillaume IV, qui s’obstinait sagement à la neutralité au moment de la guerre de Crimée. Frédéric II parut contraint