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aversion est l’œuvre du, parti militaire, dont la passion prévaut en ce point sur l’autorité même du grand homme.

Frédéric II, malgré son génie, aura donc été fatal à la civilisation moderne, en développant encore après. ses devanciers dans la monarchie prussienne et en provoquant par contre-coup dans les autres pays de l’Europe un appareil de force militaire hors de proportion avec les autres élémens de la puissance sociale des états. Pour répondre aux besoins légitimes des peuples civilisés, la force militaire d’un pays ne doit être qu’un instrument régulier de conservation. Les Zollern ont renversé la maxime depuis deux siècles, et de la force publique ont fait un élément normal d’acquisition, un instrument permanent de conquête, car la guerre nourrit nécessairement la guerre. Si l’on voulait examiner de près les conséquences effectives de cette interversion de principes, on serait affligé des résultats. Le grand Frédéric a introduit de vive force le système d’une Prusse grande puissance dans le concert européen, et le problème de cette introduction, qui avait paru résolu par la paix d’Hubertsbourg en 1762, s’est représenté menaçant au traité de Vienne en 1815. L’embarras de s’y accorder sur la reconstruction de la monarchie prussienne et sur le rôle à lui assigner dans la confédération germanique faillit compromettre la pacification de l’Europe. Cinquante ans après, et par les difficultés croissantes de la situation, la Prusse a été amenée à trancher dans le vif, à se substituer en Allemagne à la maison d’Autriche, dont elle semblait destinée à balancer seulement la puissance, rectifiant ainsi par la conquête et la violence une position politique fausse dès l’origine, que le cours du temps n’avait pas améliorée, et que la nature ne consacrait point. Ce pas franchi, le roi de Prusse a été conduit enfin à poser sur sa tête cette couronne impériale que Frédéric de Nuremberg avait secrètement enviée peut-être a Rodolphe de Habsbourg, et ce n’est point le dernier acte du grand drame qui se déroule en face des états dont les Zollern ont rompu l’équilibre.

Le développement graduel de la civilisation moderne a fait naître un phénomène social tout nouveau dans l’histoire humaine. L’Europe, qui était au point de vue géographique isolée du reste de l’univers, s’est également constituée, au point de vue politique et moral, comme un tout séparé du reste du monde. Avec un concours heureux de circonstances, les élémens de la sociabilité chrétienne s’y sont épanouis, à travers des révolutions passagères, par les moyens providentiels d’une loi morale commune et par les progrès de l’intelligence appliquée à l’industrie, aux arts et aux sciences. Pour la première fois dans l’histoire de l’homme sur la terre, il s’est produit entre les états situés sur ce coin du globe un système