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1706, un curieux échantillon : « Se seulement pour vous dirre que l’on disoy ier au Tuilery que lais innemis marché du cotté de Namur, votre fils se portoy très bien, illa compose deux foye pour lais pris de la grande tragédie. Je suiss avec un profon respec, etc. » — En 1715, la scène change, le réveil de l’esprit public ranime notre correspondance ; la liberté, les passions, l’imprévu, toutes les nouveautés qui font rumeur dans Paris, viennent enhardir et féconder ce commerce naissant dont l’intérêt est désormais mieux apprécié par les amis de la marquise : « Que dites-vous, madame, de la situation présente ? Ne fournit-elle pas assez d’événemens pour amuser dans la campagne ? On n’a jamais vu la roue de fortune tourner avec tant de rapidité. » C’était bien ce que voulait la dame de Balleroy : s’amuser en province du spectacle lointain et de l’esquisse légère des événemens de Paris, puisque le sort la condamnait à ne les plus voir qu’en peinture.

Elle reçut alors de son jeune neveu, le comte d’Argenson, une description piquante des effets produits par ce tour rapide imprimé à la roue de fortune. D’Argenson le cadet, que ses camarades de classe surnommaient la Chèvre, âgé de dix-neuf ans en 1715, était depuis peu sorti du collège, où il avait beaucoup connu Voltaire ; on dirait qu’if a dérobé à celui-ci le tour aisé de son style moqueur. Cette page peut soutenir la comparaison avec les lettres récemment publiées qu’Arouet, élève de rhétorique, écrivait en 1711 au comte de La Marche. « Les taxes, ma chère tante, font maintenant ce que tous les prédicateurs du monde n’auraient jamais osé entreprendre ; le luxe est absolument tombé, et une simplicité noble, mais modeste, a pris sa place. Les viss (sic) sont à la vérité plus modérés, mais les financiers commencent à goûter le repos que donne la bonne conscience. Les bals de l’opéra et de la comédie sont aussi déserts que l’antichambre de M. Desmarets ou de M. de Pontchartrain. Les églises sont un peu plus fréquentées : on y voit, par exemple, des gens d’affaires qui n’ont pas encore été taxés demander au pied des autels un sort plus doux que celui de leurs compagnons ; on y voit de pauvres molinistes, effrayés du triomphe de leurs adversaires, soupirer après le rétablissement de la puissance des jésuites. On y voit mainte jeune fille en pleurs regretter la bourse des traitans qui les entretenaient avec tant d’éclat et de profusion, et se plaindre de la dureté de. ceux qui ont maintenant part au gouvernement, et qui travaillent à bâtir leur fortune avant de songer à faire celle de leurs maîtresses ; on m’y voit moi-même quelquefois fort embarrassé dû savoir où aller dîner ou souper et devenu dévot à force d’être désœuvré… « Ainsi se révélait dans l’intimité le spirituel rival des Maurepas et des Richelieu, l’aimable frère du trop savant marquis d’Argenson, à qui ce brillant voisinage attira le surnom que l’on sait.