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l’avenir. On a compris les répugnances qu’il y avait à vaincre, et l’administration, soucieuse de l’introduction des cultures industrielles dans le pays, vient d’user de son influence pour assurer pendant quelques années la matière première aux établissemens futurs. Que l’Annamite se rende compte des avantages qu’il en peut retirer, qu’on lui fasse toucher du doigt, car il est prudent en affaires, l’augmentation du rapport, l’immense supériorité des produits, et nous verrons les préjugés disparaître et les portes s’ouvrir largement à de nouvelles entreprises.

La source de richesse est dans le sol, les ennemis les plus déclarés du progrès ne le sauraient nier. Comment la faire jaillir ? Comment amener ce beau pays au point de production qu’il semble promettre à un si haut degré ?

Faire rendre à un sol et à un peuple par les voies honnêtes et justes tout ce que la nature leur a donné de fécondité et d’intelligence, tel est le but incontestable de la colonisation dans un pays conquis. Dans celui qui nous occupe, la terre ne manque pas à l’homme, c’est l’homme qui lui fait défaut. La Cochinchine doit donc, tout en continuant à produire autant et même plus de riz que par le passé, s’enrichir de cultures nouvelles et de produits d’un plus grand rapport, augmenter en un mot dans une large mesure la valeur de ses exportations : son avenir colonial est là tout entier ; mais pour créer dans un pays de grands centres agricoles avec ses moyens propres, il faut que les capitaux abondent, il faut aussi, et ce n’est pas une des moindres conditions de succès, que l’esprit d’entreprise et d’initiative commerciale soit très développé chez l’habitant. Or l’argent manque en Cochinchine : bien que la prospérité de la colonie se soit sensiblement accrue depuis que nous en avons pris possession, l’intérêt légal entre Annamites est environ de 36 pour 100, chiffre énorme et souvent dépassé, car généralement la convention fait seule la loi des parties. Les qualités de l’habitant ne sauraient en rien, il faut le reconnaître, se substituer au capital absent ; ses aptitudes sont toutes passives, et ses goûts l’éloignent du progrès.

La Basse-Cochinchine fut, dans le principe de la conquête du Cambodge par les Annamites, colonisée par des gens de la dernière classe et des vagabonds pris dans le Tonkin. Les descendans de ces hommes n’ont rien des qualités viriles d’une race conquérante : capables d’obéir à un mouvement d’entraînement passager, surtout si leur vanité se trouve en cause, ils ne voient dans le travail qu’un effort désagréable. Petits, malingres, rachitiques, ils se montrent en. général peu soucieux de ce qui ne peut flatter leur amour-propre, et ce n’est pas sans peine qu’on a pu les amener à cet état