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geantes. Il y a près d’un mois que l’assemblée est réunie de nouveau, et jusqu’ici, on le voit assez, elle a été plus occupée d’incidens que des affaires véritables. Un jour, c’est cette question de l’admission des princes d’Orléans, qui, au lieu de rester une question toute simple, va se perdre un instant dans la confusion et l’irritation d’un débat sans issue. Un autre jour, c’est un ancien membre de la commune, devenu membre du conseil municipal de Paris, qui est un sujet de discorde. Hier, c’était à propos de l’augmentation assez précipitée du chiffre de la circulation des billets de la Banque de France. M. Thiers, en parlant des difficultés qu’on a déjà franchies, disait avec une certaine émotion dans ce dernier débat : « Quand j’assiste à des discussions comme celle d’aujourd’hui, je puis facilement prévoir que toutes les difficultés ne sont pas franchies. »

C’est là le malheur de ces discussions en effet, et ce malheur est un peu la faute de tout le monde. Oui, qu’on nous permette de dire notre pensée sur un fait qui saute aux yeux : c’est la faute de tout le monde, du gouvernement et de l’assemblée, qui ont manifestement la même pensée, qui ne peuvent avoir qu’un même but, et dont les rapports ne sont pas toujours ce qu’ils devraient être. Certes nul plus que M. le président de la république n’a l’expérience des parlemens, l’art de les manier et de les charmer. M. Thiers a un ascendant naturel et immense sur l’assemblée. Seulement, faute de temps ou par toute autre raison, peut-être ne s’est-il pas assez préoccupé jusqu’ici de la conduire ou de la ménager, de s’entendre avec elle, de maintenir le lien de cette majorité, dont l’existence dégagerait singulièrement la marche des affaires en simplifiant tout. Parfois il laisse l’assemblée s’engager dans certaines questions, puis il survient avec cette séduisante vivacité de conviction qui est sa force et qui met aussi les commissions parlementaires dans l’embarras, qui procure à l’assemblée elle-même des momens de malaise en lui demandant de pénibles sacrifices d’opinion. Par ses interventions directes, pressantes, toutes patriotiques naturellement, il place la chambre entre la nécessité d’une soumission plus résignée que convaincue et le danger de créer une crise de gouvernement. De son côté, l’assemblée, tiraillée, divisée, mais animée des intentions les plus droites, a visiblement la plus grande déférence pour le chef du pouvoir exécutif, dont elle sent la supériorité, dont elle honore les services ; elle n’a aucune envie de l’atteindre dans sa position, dans son autorité, et en même temps elle lui crée des difficultés, elle se donne l’air d’être plus contrariante qu’elle ne l’est réellement. Elle cède sur de grandes questions, elle se rattrape dans les détails, dans des incidens où elle n’a pas toujours raison, et il y a en vérité des momens où, sans le vouloir, faute d’un sentiment précis de la limite des attributions de pouvoir, elle semble disputer au gouvernement ses prérogatives les plus naturelles.

Alors tout se gâte, la confusion éclate nécessairement. Il en résulte ce