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peler le testament d’un Africain désabusé. Le général Ducrot, qui est un officier des plus instruits et un esprit des plus vifs, en est là effectivement ; peu s’en faut que dans cette Afrique, où il a fait sa carrière comme tant d’autres, il ne voie une grande déception, une fantaisie ruineuse pour la France : il est découragé et décourageant.

Sans doute, dans ces quarante années passées à conquérir ou à civiliser le nord de l’Afrique, on n’a pas toujours su ce qu’on voulait, il y a eu bien des contradictions, bien des erreurs auxquelles les militaires n’ont pas été étrangers. À travers tout, l’Algérie ne s’est pas moins développée assez pour que la France s’y attache plus que jamais ; elle n’a pas coûté autant qu’on le dit, elle n’est pas aussi inféconde qu’on l’assure, et c’est là justement ce que montre un ingénieur expérimenté, qui a dirigé les travaux du port d’Alger, M. E. Ducos, en répondant par un exposé rapide et sensé aux pages chagrines du général Ducrot. C’est le conflit du civil et du militaire en matière de colonisation africaine. Le soldat ne croit plus à l’Afrique, l’ingénieur croit toujours à notre colonie et à ses destinées. La vérité est que l’Algérie entre peut-être aujourd’hui dans une phase nouvelle. Jusqu’ici, elle a eu le prestige d’une active et forte école de guerre où passaient tour à tour nos officiers et nos soldats, d’où sortaient par intervalles de brillans généraux ; on la voyait surtout à travers la fumée des fantasias, des razzias, des hardis coups de main et des expéditions aventureuses. L’Arabe avait son charme et son pittoresque. Les derniers événemens ont détruit cette poésie et quelque peu atteint ce prestige en montrant que cette école de guerre n’a peut-être point été aussi favorable qu’on le pensait à l’esprit militaire. Le temps des fantaisies est passé, la légende africaine est finie. Il reste en revanche une colonie utile, sérieuse, suffisamment productive, à qui il n’a manqué, selon le mot fort juste de M. Ducos, que d’être bien étudiée pour elle-même, dans ses conditions et ses ressources économiques. C’est faute de cette étude attentive et pratique qu’il y a eu tant de déceptions sur le sol algérien. Assurément on n’oubliera pas la période héroïque, la période des Bugeaud, des Lamoricière, des Mac-Mahon, et il ne faut pas croire que l’armée n’ait encore et pour longtemps un rôle de protection nécessaire ; mais l’essentiel aujourd’hui, c’est de savoir se résigner à une œuvre plus simple, plus prosaïque si l’on veut, de savoir chercher tous les moyens de tirer parti d’une colonie dont le commerce dépasse déjà 200 millions, où les Anglais eux-mêmes nous tracent quelquefois le chemin en allant découvrir des produits qui servent à leur industrie. Avant tout enfin, la première condition est de ne point commencer par désespérer quand il s’agit d’une création nécessairement lente et laborieuse. Le gouvernement s’occupe avec raison de l’Algérie ; des hommes comme M. Ducos, qui ont pour eux le talent de l’ingénieur, l’expérience de l’Afrique, sont des coopérateurs