Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour accroître encore son prestige, l’habile financier belge était parvenu, en leur donnant de grosses rétributions et en invoquant le but élevé qu’il poursuivait, à enrôler comme administrateurs de ses sociétés des personnes très haut placées par leur nom, leur fortune ou leur position dans le parti catholique. Le succès fut d’abord prodigieux. Comme on se disputait toutes les actions que M. Langrand émettait, toutes montaient à la bourse. On achetait, on revendait, et on faisait un bon bénéfice. M. Langrand apparaissait comme une sorte de messie, tel du moins que peut le comprendre une époque affamée d’or. Il suffisait de toucher son manteau ou de ramasser les miettes de sa table pour s’enrichir. Un économiste très défiant d’abord, mais ensuite converti par l’effet de la grâce, écrivait que « Dieu même n’offrait pas plus de garanties que Langrand. » Ce dieu de la finance recevait une sorte de culte ; on lui écrivait : « Je vous embrasse, je ne respire que par vous. » C’était Law en décembre 1719. La première affaire donna un bénéfice fabuleux ; elle s’appelait la banque hypothécaire. Elle céda tout son avoir à une nouvelle société du « prédit international, » créée exprès en Angleterre pour le lui racheter. Les cinq ou six fondateurs touchèrent 6 millions et gagnèrent 300 pour 100 en moins d’un an ; c’était le miracle de la multiplication des pains sous une forme appropriée aux besoins modernes. Ceux qui étaient favorisés de cette manne céleste n’y comprenaient rien eux-mêmes ; c’étaient cependant des hommes d’état de haute capacité et d’une probité au-dessus de tout soupçon. Ils disaient : C’est merveilleux en effet, mais ce ne sont pas des feuilles mortes comme celles que le diable, flans la légende, donne pour des pièces d’or ; ce sont de beaux écus sonnans.

Bientôt arrivèrent les déceptions. Les domaines de Hongrie avaient été achetés trop cher ; on voulait les vendre par parcelles, mais les acheteurs ne se présentaient pas ou ne payaient pas. Les annuités des lettres de gage rentraient mal. Les initiés voyaient qu’on marchait vers une catastrophe ; cependant le génie de M. Langrand n’était pas à bout d’expédiens. Grâce à ses hautes relations dans toute l’Europe, il prit pour base d’opération le continent tout entier, la France, l’Italie, l’Autriche, les. Pays-Bas, ramassant partout des capitaux, essayant partout des affaires nouvelles, distribuant de l’argent pour s’assurer l’appui des journaux bien pensans et pour faire triompher dans les élections les candidats de la bonne cause. Quand une société avait épuisé la plus grande partie de son actif en dividendes pris sur le capital, en commissions, en traitemens au noble état-major qui prêtait son nom, on créait une société nouvelle qui reprenait l’avoir de la précédente, et le même