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conséquent à faire célébrer les naissances, les mariages et les funérailles sans l’intervention d’aucun ministre du culte. C’est l’hostilité contre toute religion positive qui a pris corps en une société d’enterremens civils. Elle compte un certain nombre de membres dans les loges maçonniques, parmi les officiers, les artisans et les hommes du parti radical. Fréquemment dans les journaux on lit l’annonce d’un enterrement fait par les soins de « la libre pensée. » Cette société ne pourra jamais lutter sérieusement contre la suprématie catholique ; elle hâterait plutôt son triomphe, car le clergé en fait un épouvantail pour ramener les fidèles en leur montrant à quel excès d’impiété arrive le libéralisme. « La libre pensée » est, il est vrai, la conclusion logique et pratique du mouvement purement laïque d’opposition contre l’église ; mais jamais un grand mouvement d’opinion ne se fera sur une simple négation. Cela est trop froid pour entraîner, pour échauffer les âmes. Il y a plus : en repoussant tout culte, on se met en opposition avec les instincts les plus profonds du cœur humain, et on peut dire avec sa nature même. Que l’homme descende d’un mollusque ou d’un infusoire, il n’en est pas moins arrivé à être un animal religieux aussi bien que politique. Il ne se résigne pas au néant ; il espère une vie meilleure où. règne la justice, il veut un Dieu et un culte, parce qu’ils sont aussi nécessaires aux besoins de l’âme qu’au salut de la société. L’athéisme n’aura jamais ni grande force d’expansion, ni grande persévérance dans la lutte. Ce n’est donc pas lui qui arrêtera les progrès de l’ultramontanisme. Pour avoir une situation logique qui lui permette de tenir tête à ses adversaires, le libéralisme devrait se rallier soit à une réforme catholique comme celle qu’on tente en Allemagne maintenant, soit à une des nuances du protestantisme libéral. Quand il s’agit d’un besoin inné du cœur humain comme la religion, on ne tue que ce qu’on remplace ; malheureusement les libéraux n’attachent plus grande importance aux débats religieux, et ce n’est point dans le scepticisme ou l’indifférence qu’ils trouveront l’énergie nécessaire pour changer de culte. Ils continueront à rire de leurs chaînes jusqu’au jour où elles seront assez fortement rivées pour les priver de toute liberté. Les catholiques, qui tiennent les âmes par les sentimens les plus intimes et les plus profonds, ont des armes plus sûres que les libéraux, qui doivent faire appel à l’insurrection des passions et à l’incrédulité.

L’issue de la lutte peut rester douteuse tant que le suffrage restreint n’aura encore appelé à la vie politique que la bourgeoisie ; mais si, par suite de l’alliance des catholiques et des radicaux aveugles, le vote universel était établi en Belgique, l’ultramontanisme l’emporterait définitivement. C’est ce que l’on voit déjà dans les