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les philosophes de leur côté, l’opposition du christianisme et de la révolution ; mais, outre que le catholicisme n’est pas tout le christianisme, il se fait toujours dans la pratique des accommodemens que la théorie ne connaît pas. Il est donc excessif de présenter l’antagonisme des deux principes comme absolu, irrémédiable, et M. de Tocqueville a eu raison de dire que c’est plutôt en apparence qu’en réalité que la révolution s’est montrée antichrétienne. Elle n’exclut pas le christianisme ; elle lui laisse la place ouverte parmi les influences morales qui se meuvent dans le sein d’une société affranchie. Sans doute le dogme proteste, car ce qu’il lui faut, ce n’est pas une place dans la société, c’est la possession de la société elle-même ; cependant malgré lui il s’accommodera à cette société, plus chrétienne en réalité que celle qu’il regrette.

Le livre de M. Edgar Quinet, publié quelques années après celui de M. Michelet, se présente avec un caractère bien différent. Entre les deux livres, il y a une date terrible : 1852. L’un et l’autre n’ont pas cessé d’être des croyans, des apôtres ; toutefois dans M. Michelet la foi est encore juvénile, candide, entière ; dans M. Quinet au contraire, on sent un apôtre cruellement trompé, interrogeant avec anxiété le dogme qu’il a jusqu’alors prêché, et, sans cesser d’y croire, se disant à lui-même les plus cruelles vérités. « Tout un peuple, dit-il, s’est écrié : Être libre ou mourir ! Pourquoi des hommes qui ont su si admirablement mourir n’ont-ils pas su être libres ? » Tel est le problème que M. Quinet s’est posé dans son livre sur la révolution, remarquable écrit plein de feu et de passion, de tristesse et d’émotion, et d’une noble philosophie.

Ce n’est pas que l’auteur abandonne la cause de la révolution, loin de là : il veut bien l’accuser lui-même, il sera le premier à dire la vérité à ses héros ; mais il ne veut pas laisser aux adversaires le droit d’abuser contre sa foi des critiques qu’il dirige contre elle. C’est ainsi qu’il défend la révolution du sophisme qui représente la politique révolutionnaire comme une chose inouïe dans le monde, comme si ce fût elle qui eût inventé le principe de la raison d’état. On lui reproche sa politique violente à l’égard des émigrés : Louis XIV n’a-t-il pas expulsé de France 200,000 protestans ? On lui reproche les arrestations arbitraires : n’y avait-il pas les lettres de cachet dans l’ancien régime ? On lui reproche des massacres odieux : n’y a-t-il pas eu dans le monde un Philippe II, un duc d’Albe, une inquisition, une guerre des albigeois, une Saint-Barthélémy ? La révolution est sans doute criminelle d’avoir emprunté aux tyrans leur politique ; mais c’est à l’école de l’histoire qu’elle a emprunté cette politique. D’ailleurs c’est elle-même qui a déposé contre elle. Si la révolution eût été un prince héréditaire, servi par une cour