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de faits qui permet de conjecturer que, malgré les crises les plus douloureuses, une telle société a en elle-même les moyens de salut, sans aller se reprendre à des institutions épuisées, qui ont perdu toute leur vertu. Que si cependant cette société avait en soi un principe de corruption véritablement incurable, on se demande si ce principe ne lui a pas été transmis par le passé, et si la révolution, au lieu d’en être la cause, n’en serait pas uniquement le rendre impuissant.

Dans un autre de ses écrits[1] M. Renan a résumé en quelques aphorismes hardis et cruels le procès de la révolution française. On peut regretter une ces critiques si vives ne soient pas accompagnées de preuves suffisantes. La révolution, dit-il, a été une tentative infiniment honorable ; mais ce n’est là qu’une politesse faite au peuple français, car il ajoute aussitôt que c’est « une expérience manquée. » Pourquoi manquée ? Expliquez-vous. Au contraire rien n’a mieux réussi que les réformes sociales de la révolution ; elles ont traversé tous les régimes, et il n’est pas besoin d’être un grand prophète pour prédire qu’elles résisteront à tous les assauts. Une expérience aussi solide et aussi durable n’est pas une expérience manquée. Le code de la révolution semble avoir été fait, selon M. Renan, pour quelqu’un qui naîtrait « enfant trouvé, et mourrait célibataire. » A quel article du code s’applique cette critique ? S’agit-il de l’égalité des partages ? Cette égalité suppose précisément un père qui n’est pas célibataire, et des enfans qui ne sont pas enfans trouvés. On ne s’explique pas davantage un code qui rend tout « viager, » comme si le code civil eût aboli l’héritage, « où les enfans sont un inconvénient pour le père, » comme si, dans l’ancien régime, les filles des familles nobles n’étaient pas un grand inconvénient, puisqu’on en faisait des religieuses malgré elles, et comme si les cadets aussi ne fussent pas un inconvénient, qui n’avait de compensation que dans les faveurs du roi. Le code de la révolution est encore un code « où l’homme avisé est l’égoïste qui s’arrange pour avoir le moins de devoirs possible ; » hélas ! il en a été ainsi de tous les temps, et l’on ne voit pas en quoi les privilèges, en permettant plus de jouissances à l’homme avisé, auraient pour résultat de le rendre moins égoïste !

Nous ne pensons pas nous tromper en supposant que M. Renan, sans renier ces critiques, serait plus disposé aujourd’hui à relever les grands aspects de la révolution qu’à en accuser les erreurs. Désabusé, il nous l’apprend, dans quelques-unes de ses illusions germaniques, fort étonné, paraît-il, que les soldats allemands eussent des passions grossières et brutales « comme les soudards de

  1. Questions contemporaines, préface.