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l’affût, avec cette patience qui n’appartient qu’aux sauvages. Tout homme isolé qui s’aventurait en dehors de la ligne de défense ne reparaissait plus au camp. Des soldats furent tués au pied même des blockhaus dont ils avaient la garde. Nos auxiliaires manquaient de vivres, car les viandes salées et le biscuit dont se contentaient nos troupes ne pouvaient leur convenir, et il leur était interdit d’aller chercher à quelques pas même de nos ouvrages les fruits et les légumes qui assuraient autrefois leur subsistance. Ils souffraient donc encore plus que nous, mais aucun d’eux ne songeait à nous abandonner.

Le gouverneur n’attendait que le retour de l’Uranie pour dégager la place et les districts fidèles. Dès que cette frégate l’eut rallié, il rompit la ligne du blocus et obligea l’ennemi à s’écarter. Nos alliés scellèrent pour la première fois de leur sang l’attachement qu’ils avaient voué à notre cause. Les insurgés durent prendre à leur tour des mesures de défense. Ils se retranchèrent, du côté de l’est, à quelque distance de la ville, dans une position avantageuse, où l’espace compris entre les montagnes et la mer se rétrécit beaucoup et ne laisse qu’un passage large à peine de quelques mètres au milieu de terrains marécageux. C’est là que s’établirent les Indiens de Papenoo, à cheval sur la route, s’appuyant d’un côté aux hauteurs, de l’autre au rivage, défendus sur leur front par les marais et en communication par leur gauche avec les insurgés de la vallée de Fatahua : ceux-ci donnaient la main au camp de Punarou, fortement assis sur les crêtes qui descendent jusqu’à la mer, à l’autre extrémité du demi-cercle dans lequel nous étions enfermés. Pour être moins étroit, le blocus n’en était pas ainsi moins complet. Ce que nos sorties nous avaient rendu, c’était une certaine étendue de terrain devenu peu à peu libre.

Chaque matin, avant le jour, de forts détachemens d’Indiens auxiliaires parcouraient cet espace et l’exploraient dans tous les sens » Arrivés à nos derniers avant-postes, prêts à pénétrer avec les premières lueurs qui précèdent l’aurore dans les bois occupés par les insurges, nos alliés renouvelaient la charge de leurs armes et se recueillaient en silence. Le plus âgé d’entre eux, vieillard à cheveux blancs, prononçait alors la prière, invocation à la protection divine toujours improvisée, et non moins remarquable par l’élévation des pensées que par la noblesse du langage. Cette voix qui s’élevait fervente et inspirée dans le calme profond de la nuit, cette troupe immobile dans l’ombre épaisse des bois, ces fronts de sauvages courbés par un sentiment chrétien, ces mains pieusement jointes sur des armes prêtes à donner la mort, tout cela encadré dans les masses obscures et dans les grandes lignes d’une magnifique nature encore endormie composait un tableau d’une solennité à la fois