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de la vallée même où nos soldats les tenaient enfermés. Le gouverneur s’y rendit de sa personne, accompagné du régent Paraïta. Les chefs principaux de l’insurrection, Utomi et Maro, suivis de plus de 1,000 Indiens, appartenant tous au district de Punarou, lui jurèrent fidélité et obtinrent l’autorisation de transporter leurs cases sur le bord de la mer. Subjugués par la clémence presque surnaturelle du vainqueur, plus encore peut-être que par sa puissance, les insurgés de Papenoo ne tardèrent pas à suivre l’exemple des rebelles de Punarou. Nous leur avions infligé le 10 mai 1846 une sérieuse défaite. Depuis cette sanglante journée, ils vivaient misérablement au fond de la vallée dans laquelle nous les avions refoulés et dont nous gardions la gorge. Ils jugèrent le moment venu d’implorer un pardon qui leur fut libéralement accordé. Une nouvelle année ne s’était pas ouverte que tous les chefs de l’île sans exception avaient reçu du gouvernement du protectorat leur investiture. La reine Pomaré comprit qu’elle n’avait plus de motifs pour rester à Raiatea. Elle se décida enfin à écrire au gouverneur, et, rompant définitivement avec ses anciens conseillers, fit connaître son intention de rentrer à Taïti sur un bâtiment français. Le 22 janvier 1847, elle s’embarquait à bord du Phaéton, et le 7 février nous la reconnaissions officiellement en présence du peuple assemblé à Papeïti comme reine des îles de la Société, sous le gouvernement du protectorat. Ainsi se termina ce regrettable conflit qui, pendant plus de trois ans, avait tenu la guerre suspendue entre l’Angleterre et la France, aigrissant les rapports des deux peuples, compromettant l’attitude des hommes d’état les plus honorables, servant de texte à toutes les déclamations des partis et complétant par là le fâcheux effet des événemens de 1840.

Le fait d’armes de Fatahua, la soumission des insurgés et la réintégration de la reine furent connus en France dans les premiers jours de juin. L’Uranie, portant le pavillon du commandant Bruat, promu depuis six mois au grade de contre-amiral, cinglait alors à pleines voiles vers la rade de Brest. Ce fut le nouveau gouverneur de Taïti, le capitaine de vaisseau Lavaud, qui fut chargé de mettre à l’ordre du jour de la colonie les félicitations que méritait un si complet succès. « M. Bruat, lui écrivait le ministre, recevra, en arrivant en France, l’expression de toute la satisfaction du roi et de son gouvernement. » Heureux ce gouvernement, s’il n’avait jamais, pour complaire à de prétendues aspirations nationales, cherché au bout du monde l’occasion de mettre en péril la seule alliance qui l’eût accueilli à son avènement, la seule qui eût pour ses institutions une sympathie réelle, la seule vers laquelle il se sentît lui-même porté par une inclination sincère.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.