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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/396

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ferme pourtant, mais quelle ferme ! Huit mille moutons paissent de ci de là, trois cents bœufs de labour attendent qu’on les soumette au joug, autant de chevaux s’élèvent à la grâce de Dieu, tout cela dans la moitié de la propriété, car ce domaine a dû être divisé en deux pour que l’exploitation en devînt possible. Vous vous attendez du moins à trouver dans les bâtimens quelque chose qui rappelle l’aisance d’une grande exploitation. Entrez, tout est nu, sans meuble, pas même de femme pour tenir cet intérieur ; des pâtres ahuris, demi-farouches ; un ou deux contre-maîtres de culture plus intelligens, mais tout aussi peu empressés. À grand’peine, vous faites remiser vos chevaux dans un taudis qui s’appelle écurie. Dans la cour, pêle-mêle des fumiers en désordre et des moellons éboulés ; dans les corridors, les escaliers, des traces de destruction croissante, l’abandon le plus attristant. Vous voici dans une sorte de grande cuisine nue ; vous demandez à manger pour votre argent. — Il n’y a rien. — Quoi, rien ? vous avez du pain, pourtant ? — Oui, mais il est de quinze jours, assez moisi et tout noir. — Vous avez du lait ? — Non. — Comment, avec trois cents bêtes à cornes ? — Ce sont des bœufs de labour ; nous n’entretenons pas une vache. Rome est trop loin pour en vendre le lait. — Vous feriez des fromages. — Nous en achetons quelquefois. — En avez-vous en ce moment ? — Point. — Alors donnez-nous des œufs. — Nous n’avons pas de poules. — De quoi vivez-vous donc ? — Di acqua cotta, signore (d’eau cuite, monsieur). — Qu’est-ce donc que votre acqua cotta ? — C’est de l’eau avec du sel et un peu d’huile, quand nous en avons. — Vraiment ! et rien de plus ? — On peut y mettre aussi de la chicorée.

Ce régime en dit plus que bien des descriptions. Nous ne pûmes trouver un repas où ces cavallari, ces vaccari, ces pecorari, passent leur dure existence. Il est vrai que les chefs n’habitent pas là, que le ministro même, agent principal du marchand de campagne pour la surveillance générale, doit apporter ses vivres quand il visite son personnel et sa tenuta. Il produit du laitage, mais indirectement, et en sous-louant portion de ses pacages aux bergers montagnards. Ceux-ci font et vendent du fromage sous leurs huttes de paille ; la ferme n’en connaît rien. Cela ne passe point entre les mains de l’exploitant principal ni de ses agens directs. Il a de la viande sous forme de bœufs de travail ; il élève des chevaux, et il n’a pas d’attelages.

Lorsqu’on se rapproche de Rome, vers le pont Salaro, sur I’Anio, tout près des lieux où fut Fidènes, avant d’arriver à la bicoque entourée de dix oliviers qui s’appelle encore Villa-Spada, on rencontre une petite tenuta. C’est un nommé Ciavelli qui, de Rome, l’exploite, si rien n’est encore changé ; adressez-vous à son massaro