Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la trace dans la Germania. Plus de 100,000 hommes émigrent annuellement d’Allemagne, où des autorités sont préposées à l’émigration comme à un service public et régulier. Ce que l’Allemand nomme notre chauvinisme lui est insupportable parce qu’il le rencontre chez autrui, et il est mille fois plus chauvin que nous, car il croit au retour de Frédéric Barberousse, et l’infortune de Conradin lui arrache encore des torrens de larmes. Il regrette son naturalisme païen, et, s’il fait encore une révolution religieuse, ce sera pour s’en rapprocher. Plus heureux que le Celte, qui a trouvé dans César un détracteur peu généreux, l’Allemand a dans l’antiquité un panégyriste qui exalte sa gloire ; Tacite lui sait gré au fond du cœur d’avoir détruit les légions de Varus, parce que ce fut une humiliation pour l’empire. Chez un tel peuple, la révolution devait avoir la marque particulière qui la distingue en effet de la révolution française, où la chaîne historique a été violemment et définitivement brisée, au grand dommage peut-être du pays. L’Allemagne fait honte à la démocratie française d’avoir sombré dans le césarisme ; mais nous la voyons elle-même débuter dans la voie des révolutions par la restauration du césarisme allemand, sous l’oppression duquel elle a jadis failli périr.

Depuis longtemps, on pouvait observer, lorsqu’on voyageait en Allemagne, comme une ébullition vague et une impatience de changement qui semblaient provoquées par la mauvaise administration de quelques états particuliers, notamment dans la Hesse et le Hanovre. Toutes les contrées du continent avaient eu leur révolution intérieure ; l’Allemagne n’avait pas eu la sienne. L’amour-propre allemand en paraissait froissé. Il est une contagion morale aussi redoutable que la contagion naturelle. Le vieux libéralisme n’ayant rempli les vœux de l’Allemagne ni en 1817 ni en 1848, elle a couvé l’unitarisme et en a fait l’instrument de sa révolution, instrument dont la Prusse et la maison de Zollern se sont habilement emparées pour satisfaire leur passion traditionnelle contre l’Autriche et leurs vues ambitieuses sur l’Allemagne tout entière. La manœuvre a jusqu’à présent bien réussi, car l’Allemagne, en même temps qu’elle semble immobile en certaines propensions, est aussi, et plus qu’on ne croit, un pays d’entraînement. Des esprits clairvoyans l’avaient prévu. On assure que M. de Talleyrand a dit : « On ne doit pas se faire illusion, l’équilibre que nous avons fondé au congrès de Vienne n’est pas éternel. Il succombera un jour ou l’autre ; mais il nous promet quelques années de paix. Ce qui menace de le rompre dans un temps plus ou moins éloigné, ce sont les aspirations qui deviennent universelles en Allemagne. Les nécessités de la défense et un péril commun ont préparé les esprits pour l’unité germanique. Cette idée continuera de se développer, et quelque jour l’une