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Il n’y a pas d’exemple, croyons-nous, qu’un livre ait jamais gagné à être refondu et refait. Quand les grandes lignes d’une composition ont été une fois arrêtées, on n’y saurait toucher sans péril ; c’est une triste muse que le repentir. Comme on l’a dit, la joie d’un esprit en fait la force, et le secret de la joie, c’est l’amour. Il faut aimer son sujet comme on aime une maîtresse, et on ne l’aime pas ainsi deux fois de suite. On ne peut refuser à la Nouvelle vie de Jésus cet avantage que, sans modifier ses vues sur aucun point essentiel, l’auteur a tenu compte et profité des travaux de ses successeurs, les théologiens de Tubingue ; mais ce que son œuvre a gagné en érudition, elle l’a perdu en logique, en netteté et en couleur. Il y règne je ne sais quelle disposition chagrine et comme un nuage de mauvaise humeur. Il est visible que M. Strauss n’est plus amoureux. Son premier livre annonçait une étonnante et précoce maturité de l’esprit ; les esprits qui mûrissent vite sont condamnés d’ordinaire à ne se point renouveler, c’est la vengeance que tire d’eux leur jeunesse, trop tôt délaissée. M. Strauss vit encore sur les idées qu’il avait à vingt-sept ans. Dès son début, d’un burin ferme et large il les avait gravées sur le bronze, et son coup d’essai fut un coup de maître. Il en est réduit aux redites, et on n’a guère de joie à se répéter. Il y a cependant quelque chose de nouveau dans la Nouvelle vie de Jésus, destinée à un autre public que la première. S’adressant non plus aux théologiens, mais aux laïques et au peuple, M. Strauss a voulu marquer nettement les conclusions de sa critique, faire le départ de ce qu’elle détruit et de ce qu’elle conserve, et il a cherché à dégager du Christ légendaire auquel il ne croit pas le Christ historique auquel il croit. Ce travail, nous le craignons, n’ajoutera rien à sa renommée de penseur et d’écrivain. A défaut d’un dieu, il se propose de nous montrer un homme, et il nous fait voir un fantôme ; Partagé entre sa conscience de savant et le désir de prouver qu’il se trouve encore dans les déblais de la critique assez de marbre pour en bâtir un autel, son effort n’aboutit qu’à un mélange incohérent de doutes, d’incertitudes et d’inductions arbitraires.

Il n’y a point de milieu, il faut choisir entre le dogme et l’histoire. Ou le Christ a été le fils de Dieu et l’être surnaturel que nous montrent les Évangiles, ou il faut le comprendre dans la famille des fondateurs de religion, sans qu’il puisse différer de ses devanciers et de ses successeurs autrement que par la dignité du rang et la pureté de la doctrine. La Vie de Jésus de M. Renan a donné prise à plus d’un reproche, et il est infiniment probable qu’il s’est trompé dans l’usage qu’il a fait du quatrième Évangile, dans la préférence qu’il lui accorde souvent sur les synoptiques. Un honneur qu’on ne