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symboles et les cultes de Baal et d’Aschera furent très souvent introduits dans le temple de Jahveh à Jérusalem. A un roi piétiste, comme Ézéchias, qui détruisait les « hauts-lieux, » brisait les stèles de Baal, arrachait, coupait ou brûlait les symboles d’Aschera, succédaient des rois moins intolérans et meilleurs politiques, comme Manassé et comme Amon, qui, pour ne point blesser les croyances du plus grand nombre, rebâtissaient les « hauts-lieux, » replaçaient l’Aschera dans le temple de Jérusalem et rétablissaient le culte de Baal. C’est en vain que Josias lui-même, l’aveugle instrument du coup d’état sacerdotal de Hilkija, renversa tout ce que Manassé avait relevé. Ce Don Quichotte hébreu, l’esprit brouillé par les grimoires de son grand-prêtre, n’eut-il pas la bizarrerie de provoquer Néchao II, un pharaon d’Égypte ? L’homme qui avait égorgé les prêtres de Baal jusque dans les villes de Samarie ne fut guère protégé par son dieu Jahveh, car il resta parmi les morts dans la vallée de Mégiddo.

Après la terreur religieuse du règne de Josias, le polythéisme, et en particulier le culte de Baal, eut un renouveau d’un éclat incomparable, comme l’attestent à chaque page Habakuk, Zacharie, Jérémie et Ézéchiel. « O Juda, s’écrie Jérémie, sous le règne de Joakim, le nombre de tes dieux est celui de tes villes. Autant il y a de rues dans Jérusalem, autant tu as élevé d’autels à l’infamie, d’autels pour encenser Baal ! » Les prophètes de Samarie prophétisaient plus que jamais « au nom de Baal. » Les relations plus fréquentes des Hébreux avec la Phénicie, l’Égypte, l’Assyrie, l’échange des idées religieuses, le scepticisme profond des sages qui, comme l’auteur du livre de Job, ne croyaient plus guère aux rapports nécessaires du bonheur et de la piété, et pour qui Jahveh, son ciel et son Satan, n’étaient plus que des machines poétiques, tout semblait conjuré pour anéantir l’œuvre des grands réformateurs religieux du VIIIe et du VIIe siècle. Heureux d’être, insoucieux de l’avenir, buvant gaîment son vin sous la treille, parmi les chansons bachiques[1] et les danses lascives des filles de Syrie, le voluptueux fils de Jacob se rendait si profondément païen que le prophète, désespéré du triomphe de ces habitudes invétérées d’idolâtrie, disait, découragé : « Comment l’Éthiopien changerait-il sa peau et le léopard ses taches[2] ? »

Ceux qui ont lu la Bible, surtout les vieux livres, savent qu’on n’y rencontre que gens montant vers les « hauts-lieux » ou en descendant, prophètes ou voyans en tête, précédés de joueurs de flûte,

  1. Amos, v, 5 ; Is., v, 12.
  2. Jénîm., XIII, 23.