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Voluptueux de la bonne déesse[1]. Ces sanctuaires d’Aschera étaient des lieux charmans, des bois ombreux au vert feuillage, souvent arrosés par des eaux courantes, de mystérieux asiles où l’on n’entendait guère que le roucoulement des colombes consacrées à la déesse. Le symbole d’Aschera, un simple pieu, un tronc d’arbre dépouillé de ses branches et de ses feuilles, était l’emblème de la puissance génératrice. Il était également consacré comme symbole de la fécondité de la nature à toutes les déesses sœurs d’Aschera, à Astarté, à la déesse syrienne, à celle de Cypre, etc. Aschera est l’Istar de Ninive, l’Istar voluptueuse, appelée aussi Asurit, « l’heureuse, » « la bonne fortune. » Sur la stèle de Mésa, on lit : Astar Kamos. On a identifié Istar avec l’Athtâr des inscriptions himiarites ([2]. Selon M. Merx, Aschera ne peut signifier que « l’heureuse, » « la fortunée, » la déesse qui donne le bonheur.

Le symbole d’Aschera n’était pas plus rare en Palestine que ne l’était celui de ses sœurs divines en Phénicie, en Syrie, en Égypte, et chez presque tous les peuples de la terre. Ces pieux symboliques ont été plus tard assimilés à des idoles ; on les plaçait aussi, comme chez les Latins, dans les jardins et dans les plantations. Jérémie et Isaïe ont, comme Horace, des railleries pour ces « dieux des jardins. » Ceux dont on se servait pour l’usage du culte étaient toujours en bois ; de là les mots : « couper, » « arracher, » « brûler, » qui reviennent toujours dans la Bible quand on parle de la destruction des ascherim. La grandeur de ces idoles dut être souvent considérable. Du bois coupé d’une Aschera, que dix hommes ont abattue avec lui, Gédéon construit un bûcher sur lequel il offre en holocauste un bœuf entier ; mais plus tard, sous les rois de Juda et d’Israël, le symbole d’Aschera devint certainement un objet de piété vulgaire que l’on rencontrait dans toutes les maisons. Ainsi, dans nos provinces de France, on voit encore sur les grandes routes, aux carrefours, des bois qui servent de reposoirs à l’époque de la Fête-Dieu, de grandes croix géantes, tandis que, sous les porches des églises, les marchands de pacotille religieuse vendent pour quelques sous de petits christs en bois ou en métal. Les femmes riches d’Israël, les bourgeoises de Jérusalem, portaient sur elles des symboles d’Aschera en or ou en argent, sortes’ de médailles de la Vierge de ces temps-là, qui étaient à la fois des bijoux et des objets de dévotion[3]. Ce culte en général a toujours été la chose des femmes, comme en témoigne l’histoire de la reine Maacha. Le fils de cette

  1. II Reg., XVI, 4 ; Jérôm., II, 20 ; III, 16, 13 ; Ézéch., XX, 28 ; VI, 13 ; Hos., IV, 13.
  2. Dr Schlottmann, Die Siegessäule Mesa’s, Königs der Moabiter. Halle 1870, p. 26-27, cf. p. 43-54.
  3. Ézéch., XVI, 17.