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d’ailleurs, en proportion de leur grandeur, sont des exutoires où aboutissent tous les élémens viciés pour y chercher le secret et une existence plus facile : la manufacture attire le vice plus qu’elle ne le crée. La grande industrie, il ne faut pas l’oublier, n’a pas encore trouvé en France son assiette définitive ; beaucoup de nos usines sont nées d’hier. Pour s’introduire dans des contrées où elles étaient inconnues, les manufactures ont dû appeler à elles tout un personnel nomade d’hommes et de femmes étrangers à la localité : c’est parmi cette classe d’ouvriers que l’immoralité est intense ; mais peu à peu ce personnel vagabond se fixe, prend racine dans le pays et s’améliore. Ce qui paraît incontestable, c’est que la moralité de nos centres industriels s’est relevée depuis quelques années. On ne saurait malheureusement fournir beaucoup de chiffres à l’appui de cette assertion ; la statistique, qui prend les faits sociaux en bloc, n’est pas encore arrivée à entrer suffisamment dans les détails et à rendre ses analyses assez minutieuses pour qu’on en puisse toujours tirer des enseignemens précis. Le peu de données qu’on a viennent cependant à l’appui de notre thèse. En 1866, d’après les registres de l’état civil, l’importante ville manufacturière de Verviers, qui emploie des légions de femmes dans les fabriques de drap, sur 1,289 naissances n’en comptait que 102 naturelles, ce qui donne un rapport de 8 pour 100, inférieur au rapport constaté en 1842 pour tout l’arrondissement de Tournai, qui est exclusivement agricole. La statistique générale de France dressée par M. Legoyt paraît aussi confirmer ces assertions. Dans la période quinquennale de 1851 à 1856, le chiffre des enfans naturels pour 100 naissances était de 26.92 dans le département de la Seine, 12.21 dans les villes de province, 4. 03 dans les campagnes ; pendant la période décennale qui s’est écoulée de 1856 à 1866, la proportion des enfans naturels pour 100 naissances s’est trouvée portée à 26. 32 dans le département de la Seine, 114.49 dans les villes et 4.39 dans les campagnes. Ces chiffres indiquent que l’immoralité aurait légèrement décru dans les villes ; or quel n’a pas été depuis 1856 le développement de la grande industrie ! N’est-ce pas à partir de cette époque que se sont fondées une très forte partie de nos usines ? Les tissages, les peignages mécaniques, la fabrication de la soie dans de vastes ateliers, ce sont là des faits récens, et ils coïncident cependant avec un affaiblissement de la proportion des naissances naturelles. Il neé faut pas tirer de ces faits des conclusions trop absolues, tout au moins doit-on reconnaître que les plaintes contre la démoralisation qu’amène la grande industrie sont exagérées ; l’on est la dupe d’une illusion, et, parce que l’on voit rassemblés sur quelques points du territoire des élémens mauvais qui étaient auparavant dispersés, on croit le mal augmenté. Il