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suspects, plus propres, même les meilleurs, à les inquiéter encore qu’à les éclairer ? Ils voteront, mais au hasard ; ils mettront dans l’urne le premier bulletin qui leur tombera sous la main, ou bien, s’ils y apportent plus de choix, ils se laisseront guider par leur humeur du moment, par l’impression qu’ils auront gardée de la dernière affiche qui attirera leurs regards ou des dernières objurgations de tel ou tel meneur. Plus d’un cédera même à la tentation insensée de se venger par un vote d’opposition du gouvernement qui le forcera de voter. Le résultat le moins dangereux dans beaucoup de circonstances sera la dispersion des voix sur des candidatures de toutes nuances, dont la multiplicité donnera satisfaction à toutes les fantaisies comme à tous les scrupules, et qui ne feront, à la place des abstentions, qu’accroître le nombre des voix perdues. Qu’importe la quantité littérale des votes, si la qualité n’y gagne rien, si elle court même le risque de devenir plus mauvaise ? Qu’on décrète donc le vote obligatoire, et qu’on lui donne une sanction pénale : la mesure est juste, elle peut avoir des avantages ; mais une fois qu’elle sera prise, qu’on y voie une raison de plus de ne rien négliger pour éclairer les électeurs. On fait plus en effet que de leur mettre dans les mains une arme utile ou dangereuse, suivant l’usage qu’ils en feront : on les oblige de s’en servir, on les amène par force au combat, sans qu’on puisse savoir si l’on ne grossit pas le nombre de ses adversaires. En matière d’élections, la loi est aveugle, ses exigences profitent indifféremment à toutes les causes : aussi plus elle étend ses appels et ses moyens de contrainte, plus elle a le droit de compter sur les lumières et sur la vigilance des bons citoyens pour en détourner les mauvais effets.

On a demandé, dans quelques conseils-généraux, des mesures préventives contre ces polémiques irritantes qui ont pour résultat de dégoûter des élections les plus honnêtes citoyens. L’excès en ce genre est tellement général, il entache tellement toutes les élections, que les mesures répressives sont une arme impuissante dont on a renoncé à faire usage. Quelles protestations peuvent se produire avec succès, quelles poursuites peuvent être engagées, quelles annulations, quelles condamnations peut-on espérer, quand les torts sont partout réciproques, quand les délits d’injure, de diffamation, de calomnie, d’excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres, sont partout commis au profit de tous les candidats contre tous les candidats ? Des mesures préventives pourraient sans doute être plus efficaces, mais elles étoufferaient, avec les abus, les bienfaits de la liberté. On conseille de revenir à la législation impériale, qui n’autorisait que les affiches signées des candidats eux-mêmes. On suppose, non sans raison, que ceux qui se présentent aux suffrages de leurs concitoyens se feront un devoir,