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et dans la sphère spéciale où il est circonscrit, le règlement de 1871, sincèrement exécuté, contribuera pour sa part à cette renaissance ; il ajoutera une pierre à l’édifice en portant la lumière dans toutes les opérations du matériel.

Mais cette lumière même, ne faut-il pas s’en effrayer ? Ne faut-il pas craindre avec certains esprits qu’elle brille non pas seulement pour nous, mais surtout pour l’étranger, qui nous observe et qui pourra compter à loisir nos canons, nos fusils, toutes les pièces de notre armement ? Les yeux fixés sur nos arsenaux, n’y trouvera-t-il pas l’indice de nos résolutions, le secret de nos projets, et ne lui sera-t-il pas facile de paralyser nos desseins et de déjouer nos meilleurs plans ? il ne faut pas attacher une trop grande importance à cette considération. N’oublions pas d’abord que les résultats de la comptabilité ne peuvent être publiés que longtemps après l’accomplissement des faits. Si l’on veut agir avec mystère, on aura donc une marge assez considérable pour tenir les opérations secrètes ; mais, quand même ces résultats seraient connus immédiatement, en résulterait-il un danger pour le pays ? Nous sommes de ceux qui croient que la divulgation de la vérité est toujours un avantage, et qu’il n’y a pas lieu de faire d’exception pour nos approvisionnemens de guerre. Si les arsenaux sont vides, le peuple, qui le sait, n’éprouve aucune velléité de lancer ni de suivre son gouvernement dans des aventures désastreuses ; s’ils sont abondamment pourvus, le pays tout entier puise dans sa richesse un sentiment de confiance, et l’étranger une impression de respect. Il ne peut y avoir de cause d’affaiblissement à montrer dans les rangs notre jeunesse entière, disciplinée par de fortes institutions militaires, à faire connaître à tous qu’il y a pour l’armer des canons et des fusils du meilleur système, des habillemens pour la vêtir, des approvisionnemens de toute espèce pour la nourrir et l’équiper, et qu’au premier signal elle peut accourir au drapeau dans un nombre et dans un appareil formidables. Le jour où l’on divulguera de pareils secrets, et nous espérons qu’il ne se fera pas trop attendre, la France pourra de nouveau élever la voix avec autorité et reprendre son ancienne place dans la politique de l’Europe.


L. BOUCHARD.