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révolutionnaire, comme tous les fanatismes, se complaît surtout dans la partie la plus aiguë et la plus violente de son dogme. Ce ne sont plus les constituans, ce n’est plus la gironde, c’est la montagne, ce n’est pas même toute la montagne, c’est le jacobinisme qui seul a le droit de représenter la révolution dans sa pureté, dans sa vérité, dans son idéal. Tout ce qui est en-deçà est réaction ; tout ce qui est au-delà est ultra. Entre le dantonisme et l’hébertisme, il n’y a qu’un parti qui ait le vrai sens de l’orthodoxie révolutionnaire : c’est la petite église de Robespierre et de Saint-Just. Cette théorie funeste de la révolution française s’est fait jour et a dominé sous le gouvernement de juillet dans les écoles démocratiques. Au lieu de comprendre, comme le disait alors le pénétrant Tocqueville, que l’ignorance et le mépris de la liberté ont été le vice et le crime de la révolution, que c’est par là surtout qu’elle est incomplète et débile, l’école démocratique était exclusivement préoccupée de l’idée d’égalité, traitait la liberté en ennemie, la proscrivait sous le nom d’individualisme, et, au lieu d’en apprendre au peuple le mâle exercice, elle le corrompait par un mirage décevant, celui de la fraternité. Ces vues étaient communes à deux branches importantes de l’école démocratique : la branche démocratico-catholique, représentée par M. Buchez, et la branche socialiste, représentée par M. Louis Blanc. Il s’était fait dans ce temps de travail confus des esprits et de pensées nuageuses un singulier mariage entre la pensée catholique et la pensée révolutionnaire. Tandis que le catholicisme officiel et orthodoxe rétrogradait jusqu’en-deçà de 89, que l’encyclique de Grégoire XVI condamnait les doctrines libérales de l’Avenir, tandis que d’autre part Lamennais lui-même sacrifiait son catholicisme à sa démocratie, l’école confuse et prétentieuse de Buchez persistait à soutenir un catholicisme jacobin qui, malgré l’absurdité souvent odieuse de ses doctrines, a eu sa part d’influence et d’action dans le mouvement démocratique de notre siècle.

L’Histoire parlementaire de la révolution, œuvre très utile d’ailleurs par les documens qui y sont rassemblés, fut le produit de cette conception malsaine et bâtarde, dans laquelle quelques idées justes servent de passeport aux théories les plus dangereuses et les plus révoltantes. C’est ainsi par exemple qu’on ne peut que louer les auteurs de l’Histoire parlementaire lorsqu’ils blâment l’assemblée constituante d’avoir sacrifié l’idée du devoir à l’idée du droit. Il est certain que le droit sans son corrélatif, le devoir, devient vite un principe dissolvant. Exiger toujours quelque chose des autres sans rien exiger de soi-même, imposer tous les devoirs au gouvernement et ne s’en imposer aucun, réclamer la liberté sans respecter les lois, ne connaître d’autre devoir que d’être en armes