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découragé ; si vous n’avez pas deviné déjà ce que je voulais vous dire, à quoi bon vous l’apprendre !?

La voix de la jeune femme tremblait un peu quand elle reprit avec un rire affecté : — Savez-vous, Maurice, que ceci ressemble au prélude d’une déclaration ? Vous avez donc rompu avec la princesse ?

Il me fut impossible d’entendre le nom de cette princesse.

— Vous aurait-elle signifié votre congé ? Aurait-elle licencié sa fidèle milice ? Seriez-vous mis au cadre de réservé ? Et pourquoi, grand Dieu ?

L’animation de sa cousine amusait le capitaine. — Bon ! dit-il, on se lasse de tout !

— Même d’aimer ?

— Chère enfant, il n’était point là question d’amour ! La princesse est femme d’esprit, elle ne demande rien d’impossible… On cherche à lui plaire, parce que la mode est de lui plaire. Vous ne savez pas ce que c’est que l’instinct de l’imitation ! Panurge lui-même ne s’en est pas douté.

Je ne sais ce que répondit Valentine, car un roulement de tambour couvrit sa voix ; on fermait le jardin. A dire vrai, j’emportais de notre guet-apens un certain malaise de conscience. Quand on n’y est pas habitué, ce procédé d’investigations ne laisse pas de causer à l’imagination quelque vive répugnance. — De quoi te troubles-tu ? s’écria Fritz avec son large rire. Est-ce notre faute si ces étourneaux font l’amour en plein vent ? Entre ennemis, tout est de bonne guerre ! Nous avions d’ailleurs assez sotte figure dans notre bosquet déplumé par ce brouillard glacé ! Que le ciel confonde les amoureux et cette rage de parler pour ne rien dire !

Je pensais à toi, ma chère Dorothée, en quittant le jardin. Ce rendez-vous m’en avait rappelé d’autres, et combien différens ! Que nos instans étaient mieux remplis ! Combien nos discours et nos silences même étaient plus éloquens que ce frivole babillage parisien, où l’esprit a plus de part que le cœur ! Fi donc ! Ce n’est point ainsi que l’on aime à Berlin ! Et je m’indigne des sarcasmes dont Fritz vous accable, vous autres jeunes filles d’Allemagne. — Les Allemandes, dit-il, ont été créées pour remplir sur la scène du monde les rôles de grande utilité. Encore le plus souvent jouent-elles mal leur rôle.

Nous avons dîné à la Taverne anglaise, où la chère était médiocre, car la disette sévit déjà dans la ville assiégée ; s’il plaît à Dieu, les privations deviendront cruelles sous peu-de temps. Les vins sont encore abondans et exquis ; je suis sorti un peu étourdi, et pour terminer la soirée nous avons couru les cafés. Je ne sais trop comment j’ai regagné avec Fritz son domicile ; mais je sais que le