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mousquetons français ; bientôt ils se turent, il n’y avait plus de combattons.

— Allons ! voilà qui est fini, s’écria Jacob ; viendras-tu maintenant ? Que la peste étouffe le poltron !

— Il m’avait sauvé la vie, murmurai-je d’une voix étranglée, et je l’ai laissé massacrer… Je voudrais n’être jamais né !

Je ne dormis guère ce soir-là. Le pauvre Maurice d’Étreval m’assiégea dans ma tente, où je vis toute la nuit défiler des spectres. Vainement je m’efforçai de me justifier. Durant cette longue insomnie, agitée de sinistres visions, je passai du remords à l’apologie, sans trouver le repos, aussi incapable de me condamner que de m’absoudre. Il n’est pas bon de se trouver aux prises avec de telles pensées, et je saluai avec reconnaissance le lever du jour, qui vint mettre en fuite les fantômes.

Une triste besogne nous attendait au réveil. Les Français firent demander leurs blessés, peu nombreux d’ailleurs, et leurs morts. Que de visages amis j’aperçus ce matin-là couchés sur la terre dure, blêmes et rigides sous le froid de la mort ! Je saluais avec attendrissement ces bonnes figures allemandes, la veille encore placides et joviales. Je touchais pieusement ces mains décolorées qui m’avaient, si peu d’heures auparavant, rendu de cordiales étreintes, et je faisais d’étranges remarques sur tous ces visages pâles. Officiers et soldats étaient douchés pêle-mêle dans l’égalité suprême ; mais combien ils différaient ! Autant il y avait de hauteur, de dureté, de froid dédain gravés et pour ainsi dire figés dans les traits immobiles des chefs, autant les autres avaient encore une expression de candeur et de bonhomie… Il semblait que ce fussent deux races, dont l’une faite pour obéir, l’autre pour commander. Les morts français n’étaient pas moins remarquables ; leurs visages contractés avaient une expression si énergique et si ardente, que nous en étions saisis ; presque tous ces hommes avaient gardé dans la mort l’attitude du combat ; les membres semblaient lutter encore, l’œil éteint ajustait dans le vide, l’action avait en quelque sorte survécu à la vie. Il était là, le pauvre capitaine Maurice, couché par terre, le buste un peu redressé et appuyé contre un arbre ; le bras levé semblait tenir encore l’épée ; mais l’arme avait échappé à sa main défaillante et gisait brisée en deux tronçons. Près de lui, une femme en deuil, une ombre sanglotait agenouillée ; sa main, sur le bras du jeune officier, s’efforçait d’en fléchir l’inflexible rigidité. Elle lui parlait doucement à travers ses larmes, comme s’il eût pu l’entendre.

Quand les brancardiers s’approchèrent pour enlever le corps, j’aperçus le visage de Valentine, car elle avait rejeté en arrière son voile, sans craindre d’exposer aux regards ses paupières rougies et ses joues marbrées par les larmes… Je me rappelai, en contemplant