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saliens, car nul n’aurait songé à les invoquer comme arbitres, s’ils n’avaient pas occupé dans leur pays une position digne de fixer l’attention des Slovènes et des Tchoudes qui vivaient de l’autre côté de la « mer des Varègues. » Clovis avait sur eux d’autres avantages. En recevant le baptême, le Sicambre obtint la protection toute-puissante de la hiérarchie romaine ; la monarchie des Franks fut, dit Gibbon, bâtie par les évêques comme les abeilles construisent leur ruche, et les conquérans purent sous cette protection s’emparer paisiblement de la Gaule. Les Germains, hommes de leur sang, qui passaient le Rhin, ajoutaient plutôt à leurs forces qu’ils ne compromettaient leur autorité. Sans doute, les Rurikovitchs trouvèrent aussi plus d’une fois un point d’appui dans les Varègues qui à diverses reprises vinrent sur le territoire russe : à Novgorod, cet appui aurait pu même devenir un moyen d’action considérable et permanent ; mais à Kiev on ne pouvait le considérer que comme temporaire.

Les dangers n’étaient pas diminués par le caractère des grands-princes. On sait, grâce à la tradition et aux chants populaires des Scandinaves, quelle était l’impétuosité fougueuse des « rois de la mer. » Braver d’innombrables ennemis, la nature et même le ciel, était un jeu pour eux. Aussi, sans se préoccuper des immenses dangers qu’ils trouvaient à Kiev, n’ont-ils rien de plus pressé que de rêver la conquête de Constantinople, comme si déjà l’empire des plaines scythes ne suffisait pas à ces insatiables conquérans. Oleg, régent après la mort de Rurik, attaque les autocrates de Byzance ; Igor, fils de Rurik et mari de sainte Olga, renouvelle ces tentatives, et son successeur Sviatoslav fait aussi la guerre à l’empire. Ces entreprises contre un état qui n’était pas épuisé, comme à l’époque où les Turcs arrivèrent dans la Péninsule orientale, diminuaient des forces déjà si insuffisantes pour tenir tête aux invasions asiatiques.

Déjà au temps d’Oleg, l’arrivée des Magyars sous les murs de Kiev montrait assez aux héritiers de Rurik jusqu’à quel point leur empire était précaire ; mais, comme les Rollon et les Guillaume de Normandie, les grands-princes joignaient la souplesse à l’ardeur guerrière. Ils parvinrent à détourner sur le Danube l’orage qui menaçait de les engloutir ; les Slaves moraves, dont la puissance semblait bien plus solide que la leur, furent avec les Roumains de Transylvanie l’appât qu’ils jetèrent aux chefs des clans magyars. « Les Ougres, dit philosophiquement Nestor, battirent les Slaves et les Valaques, et s’établirent dans la même contrée, événement qui fit donner à une partie du pays le nom de pays des Ougres. »

Cependant Igor ne réussit pas à se débarrasser des Petchenègues,