Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Transylvanie « le Roumain ne périt pas, » ainsi que le dit un proverbe que les descendans des colons de Trajan aiment à répéter.

L’autre fait digne d’attention est la facilité avec laquelle les Slaves laissent les Petchenègues se fondre dans la nation russe. Ce fait, qui semblera si simple à tous les Latins, sera aussi difficilement compris des Germains que des Aryens de l’Inde. Les Anglo-Saxons établis en Amérique, — fidèles au principe aristocratique qui a remplacé la foi aux races divines, — ont soigneusement évité les mélanges avec les populations qu’ils ont trouvées sur le sol où ils vivent. De là l’origine, souvent si mal comprise, des castes hindoues, de là l’extermination des Indiens aux États-Unis et l’invincible répugnance qu’y inspirent et les nègres et ces Chinois qui commencent à pénétrer en Californie. Aussi, tandis que les Latins de l’Amérique méridionale, en se mêlant aux peuples vaincus, ont formé une race de métis (cholos, mamalucos, gauchos), qui a conservé fort peu de traits du type aryen, les Yankees[1] n’ont subi que les modifications physiques et morales causées par le milieu. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les conséquences dangereuses du système slavo-latin ; les optimistes peuvent répondre, comme Hertzen, que le mélange avec des populations pesantes était nécessaire pour guérir les Russes de la mobilité si souvent reprochée aux Slaves.

On peut s’imaginer quelle était la vie des premiers grands-princes au milieu de ces luttes acharnées. Si quelques clans slaves étaient satisfaits d’être délivrés de la suzeraineté des Khazars, d’autres n’entendaient point subir un maître. Igor (912-945) fut tué par les Drevliens en combattant leur chef Mâl, que la vindicative Olga attira dans un piège. L’intrépide Sviatoslav (945-972) périt en bataillant contre les Petchenègues, et le crâne du veltki kniaz (grand-prince) servit de coupe à leur prince Kouria. Le curieux portrait de Sviatoslav, esquissé par Nestor, mérite d’être cité. Il était aussi léger que la panthère, et il n’aimait que le bruit des camps ; méprisant le danger et dédaignant le bien-être, il allait désarmé dans ses marches et ne faisait porter aucun bagage. Quand l’heure des repas arrivait, il dépeçait lui-même en minces lanières la chair des buffles et des chevaux, la mettait un instant sur le feu et la mangeait à peine grillée. Le soir, il ne faisait point dresser de tente, la selle de son cheval lui servait d’oreiller et la housse de lit. Les soldats ne pouvaient se montrer plus délicats que le grand-prince.

Avec saint Vladimir, la lutte des Russes contre leurs voisins prend

  1. Ya-no-ki, les Taciturnes en indien, comme pour les Slaves les Allemands sont les « muets. »