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difficiles à réparer. Tout le terrain conquis depuis sainte Olga et saint Vladimir avait été menacé le jour où les Mongols, ne trouvant plus en Asie d’états capables d’arrêter leur impétuosité, avaient pris le parti de soumettre l’Europe entière. Les Koumans, qui depuis si longtemps étaient la plaie des Slaves, avaient été absolument incapables de résister à la violence du choc. Les Mongols les poursuivirent jusqu’à la mer d’Azof. Une foule de Koumans, oubliant les guerres acharnées soutenues par leur nation contre la Russie, s’étaient réfugiés à Kiev. Les Rurikovitchs ne semblaient nullement effrayés de la pensée de tenir tête à cette masse d’Asiatiques. Malheureusement il y eut de leur part un oubli du droit des gens : dix ambassadeurs mongols, qui étaient venus déclarer qu’ils n’en voulaient qu’aux Koumans, furent massacrés. Après un trait pareil, il fallait s’attendre à une guerre d’extermination. L’alliance des Koumans ne fut pas d’une grande ressource dans une affaire décisive, et la bataille de la Kalka fut gagnée par les lieutenans de Djinghis khan. Le prince de Kiev, Mstislav Romanovitch, paya de la vie son héroïque résistance ; mais Kiev n’avait déjà plus la même importance qu’autrefois. Dès le milieu du XIIe siècle, Kiev ne se soutient que par le prestige des souvenirs, et le titre de grand-prince n’indique nullement que là est le chef véritable de la fédération russe. Une espèce de schisme politique s’accomplit au profit de la Russie septentrionale, et la principauté de Vladimir (qu’il ne faut pas confondre avec Vladimir de Volhynie) groupe autour d’elle les influences dont disposait Kiev déchue. Ce déplacement du centre était consommé à l’époque où le Juif espagnol Benjamin de Tudèle fit son célèbre voyage (1160-1173). Benjamin parle de la Russie comme d’un « grand royaume où le froid est si rude en hiver que personne ne sort de sa propre maison, et où l’on trouve les bêtes appelées vairages[1]. »

Au moment où les Mongols semblaient devoir profiter de la désastreuse journée de la Kalka, dans laquelle l’armée russe avait été littéralement anéantie, l’orage prit une autre direction. Djinghis khan rappela ses troupes en Asie. La mort ne tarda pas à empêcher l’exécution des plans gigantesques de l’Alexandre mongol. Il laissait à ses héritiers l’empire le plus colossal qui ait existé, baigné à l’orient par la mer du Japon, à l’occident par la Mer-Noire, empire qui devait former bientôt un état fédéral, avec le Khithaï pour suzerain. « Tout l’empire des Mongols, dit Schebal-el-dyn-el-Marakeschy, est partagé entre quatre puissans princes, dont chacun possède une vaste étendue de pays. Celui de ces princes qu’on

  1. Probablement l’hermine, qui servait aux Slaves à payer le tribut aux Varègues.