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que, les élections russes ayant un caractère purement administratif, ce privilège est le même qu’il s’agit de conférer aux Italiennes.

Les hommes avaient au contraire beaucoup plus de part aux affaires sous la dynastie normande. Sans parler de villes comme la puissante Novgorod, dont les institutions étaient plutôt républicaines que monarchiques, les Rurikovitchs gouvernaient moins comme des souverains absolus qu’à la façon des autres princes chrétiens du moyen âge. En tête des oukases figurait la célèbre formule qui n’a disparu que sous Pierre Ier, czar oukazall, i boiaré prigovorili (le tsar a ordonné et les boyards ont décidé). Les communes n’étaient pas plus exclues de toute part aux affaires qu’en Angleterre, royaume dont la grandeur date aussi d’une dynastie normande. La douma zemskaia délibérait en 1612 à Moscou à côté de la chambre des boyards (douma boiarska) lorsqu’il fut question de choisir entre les descendans de Rurik, représentés par le prince Poyarsky, candidat des communes et de l’armée, et les descendans de Guedimine, représentés par le prince Mtislavsky, porté par les boyards et par le prince Dmitri Troubetskoy, qui avait pour lui les Cosaques. Il s’est opéré en Russie la même révolution qui s’est accomplie en France sous les Bourbons, en Angleterre sous les Tudors. La monarchie centralisée et autocratique a succédé à un régime qui trouvait dans l’état et les traditions du pays de puissans contre-poids, créés non par des constitutions telles qu’on les comprend maintenant, mais par la nature même de l’organisation sociale. La domination mongole prépara les esprits à cette transformation, et quand les Rurikovitchs eurent réussi à délivrer leur patrie de la tyrannie étrangère, l’autorité du tsar, qui devait être remplacé par l’empereur sous les Roumanov, était aussi absolue que celle du grand-prince était limitée. Vainqueur des kha-khans, le Rurikovitch qui régnait à Moscou avait hérité de ces droits sans limites que revendiquaient les souverains asiatiques, et que les monarques chrétiens du XIIIe siècle ne songeaient même pas à imposer au clergé, aux universités, à l’aristocratie, aux communes, qui possédaient tant de moyens de défendre ; leur autonomie. Cela est si vrai, que les théologiens catholiques de ce temps, malgré les tendances centralisatrices de la papauté, enseignaient dans les écoles une politique absolument différente de celle que professèrent depuis, — en substituant les traditions sémitiques du royaume de Juda aux traditions de notre race, — l’école de Bossuet sous Louis XIV et la « haute église » sous les Stuarts.

La période agitée de l’histoire russe qui précède l’invasion mongole a donc, comme le moyen âge occidental, de bons côtés, que des écrivains superficiels ont trop laissés dans l’ombre ; il est vrai que les étrangers, qui n’ont commencé à connaître la Russie que