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donnerait aujourd’hui ne sauraient être que d’anciens ouvrages, et moins que jamais il s’agit de vider ses tiroirs. Tâchons au contraire de faire du neuf, et, si la capacité de nous recueillir nous est restée, rentrons en nous-mêmes, repassons les événemens qui se sont accomplis sous nos yeux, et que notre émotion s’en ressente. Remarquez que je ne par le pas même d’inspiration, car, pour qu’un pareil résultat se produise, il n’est point nécessaire d’être un Méhul, il suffit d’être un homme. « J’ai fait vibrer l’air, rien de plus ! » s’écrie Egmont ; en poésie et en musique, le temps est venu de changer tout cela. Nous ne demandons pas qu’on nous compose des partitions « nationales ; » les sujets, la forme, importent peu. Assez d’odes à la France, de symphonies gauloises, assez de ces cantates qu’un compositeur met en musique, le rimeur ayant oublié de les mettre en poésie ! Beethoven faisait tenir l’idée de Dieu dans une sonate dans un quatuor instrumental ; que l’idée de la France soit dans tout ce que nous faisons, il n’est pas besoin pour cela d’emboucher la trompette, ni de revenir à la complainte du Soldat laboureur. Soyons simples, soyons sérieux, et tout le reste nous sera donné par surcroît. C’est, nous le savons, jouer un rôle de fâcheux que de venir conseiller à des auteurs de rentrer leurs manuscrits ; vaudrait-il mieux, pour eux courir au-devant de l’indifférence publique et ne récolter que des mécomptes ?

Racine disait que l’éloignement des pays répare en quelque sorte la proximité des temps, et que nous ne mettons guère de différence entre ce qui est à mille ans de nous et ce qui est à mille lieues. Les grandes perturbations atmosphériques produisent sur nous la double action et de la distance et du temps. On se trouve en quelques mois, par la terrible commotion des événemens, rejeté à des milliers de lieues de tout ce qui vous occupait et vous charmait jadis. Société, art, théâtre, tout est à refaire. Point de milieu, ou vivre en se transformant, ou continuer le train d’autrefois et périr. Beaucoup ont mieux aimé quitter ce monde : Auber, Aimé Maillard, d’autres encore.

S’il y a des talens qui savent tout de suite remuer, agiter l’opinion et prendre place fort au-dessus de ce qu’ils valent, l’auteur des Dragons de Villars et de Lara ne fut pas de ce nombre. Il vivait à l’écart, un peu sauvage et misanthrope, — ne rompant guère qu’à de lointains intervalles un silence auquel le condamnaient sa mauvaise santé et la difficulté qu’il avait à trouver bon ce qu’il faisait. Il n’en a pas moins écrit un des opéras les plus populaires. Qui ne connaît les Dragons de Villars, partition pleine de naturel, d’agrément mélodique, où se trouve ce rôle de Madelon Friquet, une vraie création, et ce ravissant duo : Moi jolie ! un chef-d’œuvre ? Dans