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jamais qu’il y a aussi une langue musicale française dont se sont servis de très grands maîtres, et que notre style soit une polémique indirecte contre les tendances des imitateurs mécaniques du style d’outre-Rhin. Nos ressources en seront sans doute diminuées, mais nous y gagnerons en dignité ; soyons modestes comme il sied à d’honnêtes gens que la fortune a pour un temps délaissés, et qui veulent ne retrouver qu’en eux-mêmes leur force de réaction contre le malheur.

Que fit jadis l’Allemagne aux jours de ses propres désastres ? Où voyons-nous qu’elle ait retrouvé son nerf de rebondissement contre nos armes, alors irrésistiblement triomphantes, sinon dans cet absolu retranchement derrière le rempart de sa nationalité, dans le retour exclusif aux vieilles mœurs, dans cette suprême invocation au passé d’où naquit en littérature, en musique, sa période romantique ? Notre esprit, naguère si à la mode, fut mis au ban, notre langue fut expulsée des salons et des cours, cette langue dont Goethe aimait tant la clarté, et que le grand Frédéric affectait de parler et d’écrire au détriment de l’idiome natal qu’il n’estimait guère. A la place de cette pléiade de poètes formés à l’école de notre XVIIIe siècle, les Rabner, les Gleim, les Wieland, surgit l’escadron armé en guerre des Kœrner, des Arnim, des Uhland, des Weber, — et derrière eux tous ces génies également trempés aux sources de l’idéal germanique, et qui parfois, d’un patriotisme plus humain, d’une plus sensible complexion, au lieu d’emboucher le clairon des batailles, se contentaient, comme le doux Novalis, de s’enfermer, de se confiner dans l’Allemagne du passé, pour s’en faire une tour inexpugnable du haut de laquelle ils prêchaient la croisade contre la littérature et les arts de l’étranger. Nous sommes aujourd’hui en France identiquement dans la position où se trouvait l’Allemagne de 1808. Ces mesures qu’elle prit, ces sacrifices qu’elle décréta pour repousser l’influence communicative de civilisation qui appartient au génie de la France, serions-nous capables de nous les imposer à notre tour ? Que dirait-on au prophète de mauvais augure qui viendrait, au nom de l’idée nationale à reconstituer, à relever par tous les côtés, nous conseiller de rompre avec les prédilections les plus tendres, les plus vives, les plus invétérées de notre dilettantisme ? De quelle bordée de sarcasmes et de sifflets n’accueillerait-on pas l’intempestif anachorète qui, dans l’illuminisme de sa foi, oserait venir prêcher l’abstinence, la privation, et s’écrier devant ce public du Conservatoire et des concerts populaires, affamé des ouvertures d’Oberon, de Freyschütz et d’Euryanthe : « Ce Weber que vous acclamez ainsi fut un des plus mortels ennemis de la France ; cet Allemand nous détestait de toute la force de son âme et de son génie. Dans la guerre de l’indépendance, il forgea contre nous le refrain des