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c’était là un faible frein et un léger inconvénient quand on pouvait, grâce à l’habileté de son avocat et à un caprice des juges, conquérir un riche héritage ! Vu la composition du jury athénien et son omnipotence, là plus que partout ailleurs un procès était une vraie loterie ; or, pour avoir quelque chance de gagner le gros lot, il faut commencer par prendre un billet. C’est ce que se disaient tous ceux qui se croyaient l’ombre d’un droit ou qui pouvaient alléguer, à l’appui de leurs prétentions, le plus faible prétexte. Dès qu’il n’y avait point d’héritiers à réserve saisis de plein droit, les concurrens abondaient ; un testament même, fût-il dressé dans toutes les formes, ne suffisait point à réprimer ces convoitises. A quoi bon avoir des juges à Athènes, si ce n’était pour casser les testamens de ceux qui avaient l’impertinence d’oublier leurs parens ou leurs amis ! Le discours d’Isée sur l’héritage de Nicostrate, mort à l’étranger en laissant 2 talens, nous offre un vif et curieux tableau de toutes les ambitions que suscitait l’ouverture d’une succession sur laquelle les tribunaux auraient à prononcer.


« Qui ne coupa ses cheveux en signe de deuil, quand arrivèrent d’Ace les deux talens ? Qui ne se couvrit de vêtemens sombres, comme si ce deuil devait lui donner des droits à l’héritage ? Combien on vit paraître de prétendus parens et de fils qui se disaient adoptés par acte testamentaire de Nicostrate ! C’était Démosthène, qui se présentait comme son neveu ; quand on l’eut convaincu de mensonge, il se désista. C’était Télèphe, qui prétendait que Nicostrate lui avait donné tous ses biens ; lui aussi, au bout de peu de temps, y renonça. C’était Aminiadès, qui amenait à l’archonte un enfant de moins de trois ans ; il l’attribuait à Nicostrate, quand on savait que celui-ci n’avait pas paru à Athènes depuis onze ans. Pyrrhos de Lamptra soutenait que Nicostrate avait consacré sa fortune à la déesse Athéné, tout en lui en laissant à lui-même une partie. Ctésis de Besa et Cranaos dirent d’abord qu’ils avaient gagné contre Nicostrate un procès où celui-ci avait été condamné à leur payer un talent ; puis, quand il leur fut impossible de le prouver, ils affirmaient que le défunt avait été leur affranchi ; là encore ils ne pouvaient arriver à confirmer leurs dires. Ce sont là tous ceux qui, dès le début, convoitèrent l’héritage de Nicostrate. Chariadès n’élevait alors aucune prétention. Ce fut plus tard qu’il présenta comme héritiers institués non-seulement lui-même, mais encore l’enfant qu’il avait eu d’une courtisane. Il s’arrangeait ainsi ou pour hériter lui-même de la fortune ou tout au moins pour faire obtenir à l’enfant le droit de cité. Voyant ensuite qu’il serait aisé de le convaincre de mensonge au sujet de la naissance de ce fils, il renonça à cette partie de ses prétentions, mais il présenta sa requête en son propre nom, comme s’il avait été institué héritier, et il consigna la somme exigée par la loi. »