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plus importante et la moins inconnue ; on constate que le génie grec, sur ce terrain, ne s’est pas montré inférieur à lui-même. Ce qui lui a manqué, c’est le temps et l’espace. La conquête étrangère est venue brusquement interrompre son évolution en suspendant la vie nationale. D’autre part Athènes n’a point été, comme Rome, amenée par la fortune à devenir et à rester pendant plusieurs siècles la maîtresse du monde ; elle n’a point été ainsi contrainte d’élargir les cadres de ses lois et d’en élever l’esprit pour les accommoder aux besoins d’un vaste empire, formé des races et des peuples les plus divers ; il ne lui a point été accordé de transformer peu à peu les règles étroites et dures d’une coutume locale, de manière à en faire un grand système ordonné et logique auquel on a pu donner le beau nom de raison écrite, scripta ratio. Athènes, dans sa courte et mobile existence, n’a rien qu’elle puisse comparer à cette grave et noble école des jurisconsultes romains, qui sans relâche poursuivent de siècle en siècle le travail commencé dès les premiers jours de la cité ; mais, ce que l’on a trop oublié jusqu’à ces derniers temps, ces jurisconsultes ont été singulièrement aidés dans leur tâche par l’influence des idées et des lois helléniques. Sous l’empire, beaucoup des plus célèbres légistes de Rome étaient Grecs ou d’origine grecque, élevés dans la littérature et la philosophie grecque. Plus tôt même, aussitôt que des magistrats italiens avaient été appelés à gouverner des provinces de langue grecque, ils s’étaient trouvés entraînés, par les nécessités de la pratique et les habitudes des populations dont les intérêts leur étaient confiés, à s’affranchir des prescriptions du vieux droit quiritaire. Afin de régler les relations de ces alliés et de ces sujets qui ne pouvaient s’obliger et contracter dans les formes voulues par le droit civil, ils s’étaient fondés surtout sur la notion de l’équité, et ils avaient fait de larges emprunts aux coutumes et aux lois qu’ils trouvaient en vigueur dans cette Grèce pour laquelle ils professaient, au moment même où ils en faisaient la conquête, tant de respect et d’admiration. De cette manière, la plus grande partie du droit attique avait passé dans l’édit du préteur. C’est que ce droit attique, comme l’attestent tous ceux qui en ont quelque connaissance, était plus spiritualiste que le droit romain, plus attaché à l’idée et moins esclave de la forme ; il tendait plus au général et à l’universel, il paraissait plus dominé par cette conception de la pure justice, œquum et bonum, qui devient avec le temps la principale préoccupation des jurisconsultes romains.

A mesure que l’on pénétrera plus avant dans cette étude, à peine ébauchée jusqu’ici, du droit attique et de ses rapports avec le droit romain, on sentira mieux l’importance de ces discours d’Isée, dont