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mangeurs d’insectes, qui tous étalent les plus voyans plumages : le pic, le loriot, le guêpier chez nous, et sous les tropiques des milliers d’autres qui font leur unique proie d’insectes, sont habillés de rouge éclatant, de vert, de jaune, sans précaution aucune, comme pour chasser un gibier aveugle ou du moins que les couleurs n’avertissent point.

Pas plus que l’expérience sur les daphnies, l’existence d’un plumage chamarré chez les oiseaux insectivores ne tranche la question des perceptions chromatiques des articulés ; mais c’est du moins un élément du problème qui a sa valeur. Au surplus, la question est beaucoup moins avancée que ne semble l’admettre M. Darwin dans son dernier ouvrage, où il explique le colons des papillons par les préférences de la femelle. Pour les oiseaux, il est bien certain que les mâies cherchent à briller aux yeux de celle qu’ils veulent fasciner. Il est peu de spectacles aussi curieux qu’un faisan doré qui déploie devant la poule préférée les séductions de son étincelant camail, en le tournant de son côté, sur une épaule ou sur l’autre, chaque fois qu’il passe et repasse devant elle. Nul n’oserait prétendre que la poule faisane n’est pas sensible à cette parure, et que le mâle n’a pas lui-même conscience du prix de ses charmes ; mais M. Darwin va peut-être un peu loin quand il étend le même goût du coloris aux papillons et en fait l’origine des belles nuances de leurs ailes. Si l’explication est de tout point admissible pour les oiseaux, dont la rétine fonctionne comme la nôtre, il fallait se garder d’étendre le même raisonnement aux animaux qui ont des yeux tout différens, à facettes. Un critique anglais a spirituellement remarqué que cette hypothèse de la préférence des femelles pour expliquer les brillantes couleurs des papillons n’était pas du moins applicable à leurs chenilles, tout aussi parées quelquefois et assurément fort indifférentes aux attractions sexuelles.


IV

La couleur des plumes et des poils, des écailles du poisson ou de l’aile des papillons a une fixité relative, puisqu’elle ne change, et encore rarement, que par les progrès de l’âge ou selon les saisons de l’année. Il n’en est plus de même d’autres colorations qui sont liées chez l’animal à des influences beaucoup plus fugitives, et jusqu’à un certain point intérieures. Il n’est personne qui ne se soit diverti au bord de la mer à tourmenter quelque seiche prisonnière dans les flaques d’eau laissées par le flux, pour la voir changer : mille nuances courent sur sa peau comme des rides au dos d’une vague ; c’est une petite tempête de couleurs qui se heurtent, mêlées de reflets irisés : l’animal brunit, pâlit, et devient noir tout