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défendre. Enfin, dans la répartition des charges publiques, le législateur, encore imbu des principes des physiocrates, n’a pas oublié de faire contribuer largement la rente territoriale. Le système du cadastre est loin d’être parfait : les évaluations sont souvent inexactes, les classemens douteux : certaines terres produisent plus aujourd’hui et paient moins que les autres ; mais en somme, les terres sont classées selon leur fécondité, et la charge la plus lourde retombe sur les propriétaires les plus favorisés.

De quelque manière qu’on l’envisage, la propriété de la terre, dans nos mœurs et dans nos lois, ne diffère pas sensiblement de tout autre capital. On ne peut refuser au propriétaire, pas plus qu’au capitaliste, le mérite de l’avance d’un fonds qui produit des intérêts ; quelquefois il peut réclamer la direction de l’entreprise, la comparaison utile des résultats épars sur une grande étendue de terrain, souvent l’encouragement donné aux efforts du fermier et la faculté de se relâcher sur la rigueur des fermages pour assurer le succès d’une opération ; l’excédant de la rente élargit le cercle des travaux agricoles, ouvre la carrière des expériences hardies, recule la limite des profits selon la générosité du propriétaire et même selon son intérêt bien entendu. Veut-on savoir où vont, les grandes fortunes faites à la Bourse ? On pourrait citer tel financier qui abandonne le tumulte de la corbeille pour consacrer à l’agriculture ses capitaux, sa pénétration et son audace. Il n’est pas rare de voir les grands propriétaires se soumettre volontairement aux variations des profits et prendre leur part des mauvaises années. Si l’on réfléchit aux services qu’ils rendent, si on compare le revenu modeste de leurs fermages au prix d’acquisition dont ils ont payé la terre, on ne les accusera pas d’abuser de leur monopole. La terre, qui coûte cher et qui rapporte peu, devient entre les mains des propriétaires l’avance nécessaire d’une grande industrie, et fournit du travail aux populations agricoles. L’exploitation, s’emparant du sol au prix d’un loyer modéré, peut appliquer tous ses capitaux au progrès, de l’outillage et à la perfection des procédés. Grâce à cette division du travail, qui fait supporter à l’un les charges de l’avance et à l’autre les frais de l’exploitation, l’état gagne au système des fermages la pratique d’une culture large et féconde, et une bonne assiette pour l’impôt. On peut s’étonner seulement que la rente, si modique, attire vers la terre des capitaux qui trouveraient dans l’industrie un emploi plus brillant et plus lucratif ; ne nous plaignons pas de cette préférence, née d’un instinct irrésistible, et que justifient d’ailleurs les calculs de la raison, car ce sol immuable offre de longues perspectives à la spéculation et un terrain solide aux espérances lointaines.

Que reste-t-il de la théorie abstraite des économistes ? Non-seulement nos lois n’ont pas aggravé le monopole naturel, mais elles