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jusqu’au XVIIe siècle pour trouver des choses sensées et des observations sérieuses sur cet animal. « L’illustre Mlle de Scudéry » avait reçu en présent trois caméléons envoyés d’Égypte. Elle les garda chez elle pendant plus de six mois, et l’un d’eux passa même l’hiver ; il fit les délices de la société choisie qui se donnait rendez-vous aux samedis de la rue de Beaune. Là venait Claude Perrault, admirable anatomiste autant qu’excellent architecte, quoi qu’en ait dit Boileau. On institua des expériences sous sa direction, qui furent fort bien faites. On vit que l’animal devenait pâle toutes les nuits, qu’il prenait une couleur plus foncée au soleil ou quand on le tourmentait, et enfin qu’il fallait traiter de fable l’opinion que les caméléons prennent la couleur des objets environnans. Pour s’en assurer, on enveloppait la bête dans des étoffes différentes et on la regardait ensuite. Une seule fois elle était devenue plus pâle dans un linge blanc, mais l’expérience répétée ne réussit plus aussi bien. La gamme des couleurs que parcourt la peau du caméléon fut trouvée très restreinte, allant du gris et du vert clair au brun verdâtre. Nous ne savons rien de plus aujourd’hui, et ces expériences de Perrault, instituées au milieu d’un cercle de beaux-esprits du XVIIe siècle, marquent le dernier pas qui ait été fait dans cet ordre de recherches : aucun naturaliste depuis ne les a dépassées.

Même par les plus beaux étés de nos pays, les changemens du caméléon perdent beaucoup de leur intensité. Sous le ciel d’Afrique, leur livrée change incessamment, quoique dans une gamme peu étendue. Tantôt l’animal offre un rang de larges taches alignées sur les flancs, tantôt toute sa peau se sème de mouchetures comme celles des truites, ou bien c’est un piqueté à grains très fins qui prend leur place. Parfois on voit les mêmes figures se dessiner en clair sur fond brun, qui, un instant auparavant, apparaissaient en brun sur fond clair, et ainsi tant que dure le jour. Il est certain que l’étude de ces changemens doit être reprise au point de vue des récens progrès de l’optique et de la physiologie : il n’est nullement impossible qu’ils soient influencés dans une certaine mesure par les corps environnans, comme le prétend la croyance populaire malgré l’opinion des savans ; en tout cas, ces causes extérieures n’agissent point seules. Nous nous souvenons d’avoir vécu plusieurs semaines sur le Haut-Nil en compagnie de deux caméléons qu’on laissait à peu près libres dans la barque. Ils étaient seulement attachés l’un à l’autre par un bout de ficelle, et, ne pouvant s’éloigner, soumis par conséquent aux mêmes influences : ils ne cessèrent d’offrir un contraste de coloris qui attachait par sa variété même ; mais le soir, quand ils dormaient sous les barreaux d’une chaise dépaillée où d’un commun accord ils avaient élu domicile, ils devenaient de la même couleur pour tout le temps de leur sommeil,