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ser le plus sérieux, le plus dangereux obstacle à l’unification allemande telle que l’entend la Prusse, et voilà, pourquoi M. de Bismarck est entré si vivement en campagne pour se défendre contre « la mobilisation du parti catholique. » Sait-on la plus cruelle injure qu’il ait pu trouver pour stigmatiser la presse de ce parti ? il l’appelle « la presse anti-allemande, l’ancienne presse de la confédération du Rhin. » Au fond, dans tout cela, les querelles de religion et de théologie, sans être absolument dénuées d’importance, ne sont pour ainsi dire qu’un voile jeté sur la réalité des choses ; la vraie question, c’est l’unité allemande, c’est le travail croissant du germanisme servi par un homme audacieux, favorisé dans son extension au dehors par l’éclat des victoires prussiennes.

Sans doute, avant de dompter les dernières résistances, M. de Bismarck a encore plus d’un combat à livrer, même en Allemagne, et l’ascendant qu’une nation peut prendre au dehors ne dépend pas uniquement d’un succès de ses armes. Il n’est pas moins vrai que tout marche dans ce sens, que depuis la dernière guerre la contagion du germanisme se fait sentir un peu partout, principalement dans les pays qui avoisinent l’Allemagne, et certainement il n’est point étranger au travail politique qui s’accomplit aujourd’hui en Suisse. La Suisse est en effet occupée à réviser sa constitution. Cette révision a été déjà examinée et votée par le conseil national, l’assemblée populaire de la confédération helvétique ; elle est discutée en ce moment dans le conseil des états, composé, on le sait, des délégués des conseils cantonaux. On est encore à la période d’enfantement. Tout indique cependant que la réforme constitutionnelle plus ou moins tempérée, plus ou moins corrigée, finira par être sanctionnée. La constitution qui se prépare n’a évidemment rien d’extraordinaire, rien de démagogique. Ce qui en fait une œuvre révolutionnaire, c’est qu’elle tend à substituer un système à peu près complètement unitaire au régime fédératif, sous lequel la Suisse a trouvé la paix et la prospérité dans l’indépendance. Il ne s’agit de rien moins que de constituer un gouvernement central dont la compétence s’étende à l’enseignement primaire, à la législation civile, à la législation pénale. Chaque canton avait jusqu’ici son droit et ses lois. On veut avoir des lois et un droit communs, de sorte que Genève, qui avait gardé, qui garde encore le code civil français, est menacé d’une véritable révolution dans ses mœurs et dans ses habitudes. Le fédéralisme, tel qu’il existait, était manifestement le régime le mieux approprié à un pays composé de trois races dont les usages et les idées diffèrent si sensiblement. L’unification peut être une tyrannie pour les minorités.

Des influences diverses se sont réunies pour en venir là ; le radicalisme espère, par cette révision constitutionnelle, pouvoir s’imposer aux cantons catholiques, qui sont restés jusqu’ici rebelles à son influence. Les cantons allemands ont été pris de l’ambition de germaniser la minorité velche, la Suisse romande. Tant que la France a gardé son ascen-