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moment dans quelqu’un des compartimens les plus bénins du purgatoire les erreurs malicieuses qui lui avaient fait écrire ses Questions scandaleuses d’un Jacobin et autres pamphlets du même genre. Toutefois quel ne fut pas mon étonnement lorsque je lus sur une des pierres tumulaires cette inscription : « ici repose le chevalier d’Albizzi, 1786. » Il n’y avait pas à en douter, la forme de ce nom peu commun, le titre modeste, mais significatif, qui rattachait le mort à une race noble, tout m’indiquait que j’étais bien devant la tombe d’un descendant de cette illustre famille sur laquelle l’histoire se tait depuis déjà quatre siècles.

Je m’arrêtai avec respect. Le nom des Albizzi est un de ceux de l’histoire d’Italie qui me sont le plus chers, comme il doit être cher à tous les libéraux véritables qui connaissent leurs ancêtres dans les divers pays. Les Albizzi comptent parmi les plus honnêtes, les plus dévoués, les plus intelligens serviteurs de la liberté qu’il y ait eu en Italie. Entre l’orageuse rivalité des blancs et des noirs et la dictature des Médicis, ils établirent dans Florence, où leur influence fut toute-puissante pendant plus de quatre-vingts ans, une sorte de république constitutionnelle, démocratie modérée où le pouvoir, toujours populaire dans sa base, revenait cependant de fait aux grandes positions sociales, sans jamais être assez exclusif pour menacer de se restreindre en une oligarchie, et ils soutinrent cette république par une politique probe, humaine, prévoyante et ferme au besoin, remarquable mélange de vigueur et de légalité. Ils furent, si nous pouvons nous servir de ce mot pour faire comprendre la nature de leur politique, les orléanistes de la démocratie florentine. Si ce ne fut pas le plus amusant et le plus dramatique des gouvernemens de la mobile patrie de Dante, c’en fut au moins le plus tolérable. Heureuse Florence, s’il avait pu durer; mais le peuple ne le permit pas. Au moment où les Albizzi étaient au faîte de leur puissance, grandissait dans l’ombre l’influence qui allait transformer encore une fois le gouvernement de l’état. Déjà Sylvestre, puis Jean de Médicis, prodiguant l’or aux faubourgs et les sourires aux boutiques de Florence, jetaient les fondemens de cette dictature qui devait être d’abord si magnifique, et qui par tant de vicissitudes devait aboutir à la plus misérable des monarchies. La lutte des Albizzi contre les Médicis fut aussi courageuse qu’inutile; mais ce qui recommande singulièrement leur mémoire auprès des honnêtes gens de tous les temps, c’est que, si leur politique ne fut pas toujours exempte de violences, elle fut toujours pure de sang : grand éloge, si l’on veut bien se rappeler les mœurs de l’Italie du moyen âge. Il y eut un moment où il fut en leur pouvoir de détruire pour jamais peut-être cette influence rivale. Renaud, dernier des Albizzi, tenait prisonnier celui qu’on peut regarder comme le fondateur véritable de la gran-