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les prêtres, s’engagèrent à l’observation scrupuleuse de tout ce qui était écrit dans le code sacré qu’on venait de leur lire. Le nom de Moïse fat encore donné comme celui du législateur qui l’avait rédigé ; cependant il ne faut pas s’y tromper, c’est une loi remaniée, amplifiée, enrichie de chapitres tout nouveaux, qui sortit du mouvement dirigé par Esdras et Néhémie. C’est cette loi qu’avaient élaborée les scribes sur la terre étrangère, qu’Esdras avait apportée avec lui, et qu’il ne pouvait introduire du jour au lendemain avant d’avoir préparé les esprits ; pour la faire accepter, il avait eu besoin du renfort que Néhémie lui apportait de Babylone. La mise en plein jour de cette espèce de coup d’état religieux, jusqu’à présent très ignoré des historiens et qui explique tant de choses, forme l’une des parties les plus ingénieuses et les plus nouvelles de l’ouvrage de M. Kuenen. Elle provoquera sans doute plus d’une réclamation chez les critiques, dont elle dérange les combinaisons. Cependant tous ceux qui suivent de près la marche des sciences historiques, du moins dans leurs relations avec l’Ancien-Testament, devront être frappés de tout ce qu’elle a de logique interne et de parfaite vraisemblance. En résumé, ce grand édifice de la Thora, qui remplit la majeure partie des quatre derniers livres du Pentateuque, repose sur trois assises bien distinctes. En premier lieu vient le Décalogue sous sa forme primitive, et ce que l’on peut appeler le livre de l’Alliance, lequel se trouve aux chapitres XXII à XXIII de l’Exode ; ce sont là les élémens les plus anciens. Vient ensuite la législation contemporaine de Josias, qui se lit dans le Deutéronome. Enfin se présente la grande codification opérée décidément après l’exil par des scribes, qui purent sans doute se servir d’anciennes traditions sacerdotales et rituelles, qui n’innovèrent pas en tout, mais qui travaillèrent en vue d’un état de choses inconnu avant le VIe siècle. Ils continuèrent la voie dans laquelle Ézéchiel les avait précédés. Le rôle, auparavant incompréhensible, du prêtre-prophète rentre désormais dans la chaîne logique du développement du judaïsme. Ses successeurs composèrent, comme lui, des lois positives et même minutieuses, dont l’application était ajournée à des temps meilleurs. Ainsi s’explique pourquoi tant de lois, qui prétendent remonter à Moïse, n’ont été réellement appliquées et, pour tout dire, applicables que depuis la captivité ; pourquoi le vieux mosaïsme, très peu sacerdotal, devient dans les cinq siècles qui précèdent notre ère tout imprégné de sacerdotalisme, et enfin nous savons d’où viennent ces changemens, ces aggravations ou spécifications de détail qui, dans le recueil tel qu’il est actuellement, supposent déjà que plus d’un travail législatif a concouru à la rédaction de la Thora. Maintenant les vraies phases principales de cette stratification légale ont été retrouvées, indiquées avec pré-