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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/168

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sauvages, en dehors de la scène historique, des tribus vouées, ce semble, à la stérilité, qui ne s’instruisent pas et ne se perfectionnent pas. M. Guizot, s’il a reproduit dans une des leçons de l’Histoire de la civilisation en France un parallèle analogue à celui que Robertson et Gibbon ont outré, a pris soin de le rectifier en plaçant à la suite une habile peinture des traits privilégiés par où les Germains devaient se signaler.

Bien que les Germains du Ier siècle soient encore à l’état de tribus errantes, depuis longtemps déjà, à mesure qu’ils émigrent, ils demandent partout des terres pour s’y établir. Il semble que deux secrètes impulsions les dirigent vers l’invasion et vers l’occupation qui suivra la conquête définitive. Rencontrent-ils quelque grand fleuve qui les conduit à la mer ou bien la côte elle-même, ils sont déjà ces pirates hardis que l’Europe occidentale devra plus tard redouter. Pline le Naturaliste, contemporain de Tacite, décrit leurs embarcations creusées dans des troncs d’arbres, et qui contenaient, dit-il, jusqu’à trente hommes; une de ces embarcations a été retrouvée en Danemark, il y a peu d’années, dans la tourbière de Nydam, avec des monnaies romaines qui la feraient dater du IIe siècle. Dans l’intérieur des terres, sur le vaste territoire de la Germanie, ils s’avançaient lentement, par migrations spontanées, après avoir depuis longtemps refoulé ou asservi les populations celtiques, se succédant tribus par tribus sur chaque plateau et dans chaque vallée, sans rencontrer, ce semble, beaucoup d’obstacles, mais attardés cependant par l’indispensable nécessité de cultiver la terre. La distinction que M. Guizot a établie entre la bande et la tribu dans le sein de chaque peuple germanique convient à cette époque : les femmes et les vieillards restaient pour soigner la terre et le bétail, tandis que les enfans perdus s’en allaient explorer la contrée et chercher de nouveaux gîtes. A peine sont-ils en contact avec les peuples des frontières romaines, qu’on les voit réclamer des terres plus instamment que jamais. Les Cimbres, vainqueurs dans une première rencontre sur les frontières de la province romaine, plus tard la Narbonnaise, se contentent de renouveler la demande d’une concession de terres à titre de solde et en échange du service militaire. Arioviste, le roi des Suèves, se fait livrer le tiers de leurs terres par les Séquanes. On dirait que, fatigués de la barbarie, ces peuples viennent invoquer d’eux-mêmes les exemples de la vie sédentaire et civilisée.

Dans leur vie errante, les Germains du Ier siècle connaissaient-ils la propriété privée? Un exact examen de cette grave question, à laquelle Tacite a certainement songé, nous serait précieux pour la connaissance de leur état social. De même que, dans les sociétés