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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/177

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Nul doute que nous n’ayons, dans cette page d’une des sagas islandaises, de laquelle nous pourrions rapprocher plusieurs morceaux analogues, une élaboration en prose de quelque formule très ancienne composée probablement d’abord en vers pour aider au travail de la mémoire. Nul doute que nous ne rencontrions ici les origines païennes de la paix ou de la trêve de Dieu, devenue plus tard si fréquente et si utile pendant le désordre du moyen âge. Alors, comme au Ier ou au IIe siècle chez les Germains, c’était le progrès des mœurs qui, s’autorisant du respect religieux, invitait la loi à combattre des traditions de violence inconciliables avec un établissement régulier.

Outre ce mouvement intérieur d’une société encore confuse qui cherche ses destinées. Tacite fait clairement comprendre, dans la partie ethnographique de son livre, à quelle instabilité ces tribus barbares sont en proie, combien de déplacemens, de migrations, de vicissitudes imprévues et diverses viennent modifier incessamment, sous ses yeux mêmes, l’aspect de la Germanie. Nous pouvons en réunir beaucoup de preuves, si nous comparons ensemble la carte du monde barbare telle que nous l’offrent successivement César, Strabon, Pline l’Ancien, Tacite, Ptolémée. A chacune des époques, peu distantes entre elles, que les noms de ces écrivains représentent, on voit les mêmes peuples habiter des lieux quelquefois très différens. Il est évident que rien ne demeure longtemps fixé dans cette barbarie. Tacite fait suffisamment apercevoir ce trouble incessant, qui correspond si bien à l’effort moral de ces peuples, quand il rappelle, dans son trente-troisième chapitre par exemple, qu’une tribu presque entière, celle des Bructères, vient naguère de disparaître, 60,000 hommes à la fois, vaincus, dispersés, tués dans une guerre intestine, et par les mains d’autres barbares. C’est en cette occasion qu’il pousse ce cri où se révèlent toutes les craintes de son patriotisme : « Puissent ces nations, à défaut d’amour envers Rome, persévérer dans ces haines contre elles-mêmes, puisque, au point où en sont les destinées de l’empire, la fortune ne peut plus rien pour nous que de perpétuer les discordes de l’ennemi ! » C’est ce qu’il faut lire dans son admirable et intraduisible langage : Maneat, quœso, duretque gentibus, si non amor nostri, at certe odium sui, quando, urgentibus imperii fatis, nil jam prœstare fortuna majus potest, quam hostium discordiam.

Tel est le remarquable caractère du livre de Tacite, et ce qui en fait une œuvre de tant de prix. Non-seulement il a su, ne partageant pas le dédain de ses compatriotes pour ceux qu’ils appelaient les peuples barbares, distinguer les principaux traits du génie de toute une race qui lui était étrangère, mais il a compris encore que