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ferait ce qu’on lui demandait, puisque les rois ses prédécesseurs avaient toujours admis leurs sujets dans leurs conseils. — Ces exemples, qu’on pourrait multiplier, montrent une des principales différences entre le monde germanique et les Celtes, chez qui, suivant le témoignage de César, le peuple, privé de toute initiative et de tout crédit, se voyait traité à peu près comme les esclaves.

En résumé, les institutions que le livre de Tacite nous laisse apercevoir chez les Germains du Ier siècle après l’ère chrétienne sont encore indécises, mais n’en traduisent pas moins clairement ce qu’était ce génie barbare. Si elles n’admettaient pas universellement la royauté, toutes les tribus y inclinaient cependant, voyant en elle une dignité plus militaire que religieuse, une fonction d’intérêt commun déléguée par la confiance des peuples, fortifiée ensuite et en partie consacrée par leur dévoûment, toujours conditionnelle néanmoins et révocable. Conception bien différente de celle du monde romain, suivant laquelle tout magistrat passait pour recevoir comme inaliénable pendant un temps le dépôt de l’intégrité du pouvoir, sans parler de la théorie du césarisme, qui supposait l’accumulation de toutes les puissances et l’aliénation de toutes les volontés entre les mains et au profit d’un seul. Si l’existence d’une aristocratie était chez les Germains un fait plus général que celle de la royauté, encore faut-il remarquer qu’elle avait sa raison d’être, elle aussi, dans la reconnaissance nationale pour des services permanens et héréditaires, plutôt que dans la seule vertu de la tradition. Ces barbares n’aliénaient pas leur indépendance : égaux entre eux sous des chefs élus par eux-mêmes, ils traitaient leurs affaires en commun dans leurs assemblées partielles ou générales.

C’est ce qui empêche d’être absolument vaine la question, si souvent agitée, — et qu’on n’est d’ailleurs tenu qu’à entrevoir quand on se place, comme nous, au temps de Tacite, — à savoir quelles institutions germaniques ont continué de se développer après l’invasion au milieu du travail de la société nouvelle. Sans doute il ne se pouvait pas que l’instinct de la liberté civile et politique, dont les Germains avaient fait preuve, demeurât stérile. Toutefois le problème est des plus complexes, et, en dehors de quelques traits tout généraux et un peu vagues qu’on aperçoit d’abord, il ne peut s’aborder sérieusement que par un attentif et patient examen des textes du moyen âge. Même au lendemain de la conquête, comment distinguer les pures traces germaniques, alors que s’exercent avec tant de puissance les influences romaine et chrétienne? La savante organisation de l’empire n’avait-elle pas prévu et pratiqué presque toutes les formes? ne connaissait-elle