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des statistiques marquant les résultats déplorables de la plupart des grèves; le recours à la conciliation ou à l’arbitrage est vivement recommandé pour éviter les crises stériles. Avec de la patience, on peut ainsi faire prévaloir les idées saines, et voir lentement, mais sûrement, se réaliser le progrès. Pourquoi l’entente, qui habituellement caractérise les relations de l’entrepreneur avec ceux qui lui fournissent les matières qu’il transforme, ne finirait-elle point par s’établir dans ses rapports avec les ouvriers? Pourquoi les guerres violentes troubleraient-elles toujours le marché du travail, tandis que la paix favorise les autres parties du domaine de l’échange? Aujourd’hui, dans le commerce, on ne voit plus naître que des luttes pacifiques : l’acheteur ne regarde pas le vendeur comme un ennemi, ni réciproquement. Du petit au grand, consommateurs et producteurs débattent avec calme les conditions des affaires; on n’entend plus parler de pendre comme accapareurs les négocians qui font sur une vaste échelle le commerce des grains; on n’admet plus que, suivant l’expression de Montaigne, « le proufict de l’un fasse le dommage de l’autre. » D’où vient cette pacification générale des marchés industriels qui aurait bien surpris nos pères? Il faut l’attribuer en grande partie à la suppression de toutes les barrières artificielles qui entravaient les transactions. L’abolition des monopoles, des taxes, des règlemens, des tarifs prohibitionistes, laisse le champ libre à tous ceux qui font des offres ou des demandes, et ôte aux (ms comme aux autres le prétexte de soulever des réclamations passionnées. Chacun suit son intérêt et admet que son voisin se laisse guider par le même mobile. Si l’acheteur ou le vendeur se trompe, l’expérience le ramènera dans la bonne voie, et il ne veut pas qu’on lui impose d’autre règle de conduite que celle qu’il a librement adoptée. Tels sont les principes qui ont prévalu dans le commerce et l’industrie. Pourquoi ne s’étendraient-ils pas à la question particulière des relations des ouvriers avec les entrepreneurs? On ne peut justifier sur ce terrain plus que sur tout autre une interdiction autoritaire pesant sur les parties en présence. Il est permis d’attendre de la liberté sur le marché du travail les mêmes résultats heureux que partout ailleurs. Quelques personnes se figurent que, s’il était prouvé que l’usage du droit de coalition tourne le plus souvent au désavantage des ouvriers, il n’y aurait aucune bonne raison pour laisser dans leurs mains une arme aussi dangereuse. Mieux vaudrait, disent-elles, en supprimant de funestes tentations, empêcher les ouvriers de se ruiner et de ruiner l’industrie pour le vain plaisir d’exercer un droit stérile. Nous n’admettons pas ce raisonnement. Plus nombreuse et plus pauvre est la classe à laquelle on veut appliquer les lois soi-disant