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Ce fut surtout à partir de 1840 que les poètes impérialistes se prirent à chanter tout haut les douleurs, les ambitions et les espérances qui les possédaient. Ils conversaient avec les corbeaux qui voltigent autour de la mystérieuse caverne où Frédéric Barberousse a dormi son long sommeil; ils interrogeaient leurs croassemens : ce grand empereur allait-il enfin s’éveiller, et, debout sur la montagne, montrer du doigt la tête prédestinée qui attendait la couronne impériale, le nouveau césar qui renouerait la chaîne brisée des siècles, attacherait l’Allemagne à sa fortune et lui ouvrirait à deux battans les portes de l’avenir ? « Hélas ! s’écriait Henri Heine en terminant Atta Troll, voici peut-être la dernière libre chanson de la muse romantique. Elle se perdra dans le vacarme et les cris de guerre des Tyrtées du jour. D’autres temps, d’autres oiseaux!.. Quel piaillement! On dirait des oies qui ont sauvé le Capitole. Quel ramage! Ce sont des moineaux avec des allumettes chimiques dans leurs serres, qui se donnent des airs d’aigles portant la foudre de Jupiter. Quel roucoulement! Ce sont des tourterelles lasses d’aimer, qui veulent haïr et, au lieu de s’atteler au char de Vénus, traînent celui de Bellone. D’autres temps, d’autres oiseaux ! d’autres oiseaux, d’autres chansons! Elles me plairaient peut-être, si j’avais d’autres oreilles. » On était alors en 1841.

L’Aristophane du XIXe siècle parlait bien légèrement de ces colombes converties au culte de Bellone. Elles avaient le secret et l’oreille de leur peuple. Les anciens appelaient les poètes des devins, des vates. On ne saurait contester aux poètes impérialistes le mérite d’avoir lu dans le livre du destin. Ils pressentaient que, fatiguée des luttes des partis, l’Allemagne se prendrait un jour à tourner ailleurs ses désirs et ses pensées, et qu’un audacieux viendrait qui lui achèterait son âme en lui promettant en échange l’empire de la terre. Un plus grand prophète qu’eux tous avait déjà conté cette histoire dans Faust ; seulement il l’avait altérée et embellie. Il s’est trouvé que Marguerite avait horreur de Faust; elle est à lui, mais ses embrassemens lui sont un enfer, et jamais il n’aura son cœur. Ces devins étaient aussi des docteurs et des conseillers : ils enseignaient à l’Allemagne que les combats de la liberté sont des combats sans gloire, que les droits politiques sont de vaines subtilités et les constitutions des grimoires, qu’il n’y a d’évident que l’éclair de l’épée et une branche de laurier ramassée dans le sang, — et, pour l’arracher tout à fait à ses rêveries, ils s’efforçaient de réveiller ses haines assoupies, de lui persuader que la vraie liberté c’est d’avoir un empereur qui fait peur au Welche. « Non, ce n’est pas un bien-être servile, ni les sanglantes balançoires du temps de l’égalité welche après lesquelles soupire notre peuple, s’écriait un poète