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toires. » Trois ans plus tard, l’empire était à moitié fait, ce nouvel empire où devaient fleurir à l’envi toutes les vieilles vertus allemandes, où toutes les mains se joindraient pour prier, a où le cœur de la vierge enfermerait des trésors d’honneur et d’innocence, où le chérubin des chastes amours défendrait le jeune homme contre les approches du tentateur. » M. Geibel adressait alors à Guillaume Ier cette étonnante parole : « Oint du Seigneur, tu nous as rendu enfin le beau droit de nous estimer nous-mêmes. » O grande Allemagne d’autrefois, école où s’est instruit tout ce qui pense en Europe, que vous en semble? Il a fallu qu’un roi se chargeât de vous retirer de votre bassesse et de décrasser votre nom.

Après le Danois, après l’Autriche, le Welche a mordu la poussière. Pour chanter cette dernière victoire, M. Geibel a éprouvé le besoin d’ajouter une octave à son clavier. Quand on veut célébrer dignement le maître, il faut parler sa langue. Bien que l’empereur Guillaume passe pour goûter médiocrement la poésie, il a eu l’honneur de rajeunir un genre littéraire qui était tombé en désuétude, et dont il a donné d’excellens modèles dans ses lettres à la reine, d’une inspiration toute biblique, pleines du Dieu d’Israël et des batailles. L’impérial écrivain a fait école, mais ses nombreux disciples ne l’ont point égalé ; il leur manque le je ne sais quoi qui ne se laisse pas imiter. Nous nous souvenons cependant d’avoir lu dans la Gazette de la Croix, peu après la conclusion de la paix, une poésie très sacrée et très hébraïque, qui avait un assez beau caractère : « nos prières ont converti les champs de bataille en autels, et maintenant nos guerriers reviennent couverts de gloire et chargés de butin, beuteschwer. » C’est ainsi que le psalmiste s’écriait : « Tu m’as délivré de la main des enfans de l’étranger dont la bouche prononce des mensonges, et dont la droite est une droite trompeuse, afin que nos fils soient comme de jeunes plantes et nos filles comme les pierres taillées pour l’ornement d’un palais. Que nos celliers soient remplis ! que nos bœufs soient appesantis par leur graisse ! »

M. Geibel, qui a la main déliée, qui possède à fond le mécanisme du doigté et à qui rien n’est impossible, s’est piqué de prouver qu’il savait dans l’occasion composer des psaumes. De tout temps il s’est plu à faire figurer dans ses vers Jehovah ou Jahveh, la verge du Seigneur, Sodome et Gomorrhe, et ce qu’une femme d’esprit appelait le patois de Canaan; — mais, pour écrire son psaume contre Babylone, il a dû relire tout Jérémie, tout le roi-prophète, et, comme les guerriers allemands, il est revenu, lui aussi, chargé de butin. Ces pastiches, élégamment tournés, ont eu du succès. Le poète y annonçait à la France que la terre serait sombre et le ciel ardent, que le sang monterait jusqu’aux brides des chevaux, que