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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/351

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Pendant la journée du dimanche, Nogaret ne bougea pas du château pontifical. Il assure qu’il fut occupé tout ce temps avec Rainaldo da Supino à garder le pape ainsi que les Gaetani, ses neveux, et à les préserver des mauvais traitemens, tâche difficile à laquelle il ne put réussir qu’en y engageant quelques Anagniotes et des étrangers. Il voulait aussi, dit-il, sauver ce qui restait du trésor de l’église. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il vit le pape ce jour-là. S’il fallait l’en croire, Boniface aurait reconnu avec une sorte de gratitude les efforts qu’il avait faits pour arrêter le pillage des meubles et du trésor. Nogaret s’attribue aussi le mérite d’avoir relâché Pierre Gaetani et son fils Conticelli, qu’on avait faits prisonniers dans le premier moment. Assurément, les apologies de Nogaret portent à chaque ligne la trace d’une attention systématique à créer autour du fait principal et indéniable des circonstances atténuantes ; nous croyons néanmoins qu’il montra en effet dans le manoir une certaine circonspection. Peut-être l’impossibilité de faire quelque chose de suivi avec un fou comme Sciarra le frappa-t-elle, et dès le dimanche chercha-t-il à sortir le moins mal possible de l’entreprise téméraire où il s’était engagé.

On assure que le pape ne prit durant tout ce temps aucune nourriture ; si cela est vrai, ce ne fut pas sans doute par suite d’un refus de ses gardiens, ce fut par sa propre volonté, soit qu’il craignît d’être empoisonné, soit que la rage le dévorât, Nogaret prétend qu’il lui fit servir ses repas, en prenant toutes les précautions possibles contre un empoisonnement.

Le lundi 9 septembre, ce qui s’est passé mille fois dans l’histoire des révolutions italiennes arriva. Il y eut un revirement subit. Les habitans d’Anagni, après s’être donné le plaisir de trahir Boniface, se donnèrent le plaisir de trahir ceux qu’ils avaient d’abord accueillis contre Boniface. A la voix du cardinal dei Fieschi di Lavagna, ils sont pris d’un soudain repentir. Dès le matin, renforcés par les habitans des villages voisins, ils s’arment en masse aux cris de Vive le pape ! Meurent les traîtres ! Ils se portent en même temps, au nombre de dix mille, vers le château pour réclamer le pontife. On parlementa quelque temps. Les conjurés soutenaient qu’ils étaient chargés par l’église universelle de garder Boniface. Les Anagniotes répondaient qu’on n’avait plus besoin d’eux pour cela : « Nous saurons bien tout seuls, disaient-ils, protéger la personne du pape ; cela nous regarde. » La lutte s’engagea et fut assez vive. La bande de Sciarra et de Rainailo perdit beaucoup d’hommes ; accablée par le nombre, elle fut obligée de sortir du château et de la ville. Une partie du trésor papal fut reprise ; la bannière des lis, qui avait été arborée sur le palais pontifical, fut traînée dans la boue. Nogaret