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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/369

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pense autour de lui, et plus utile à comparer avec les relations moins suspectes de Tacite.


II.

Voilà ce que les Romains du Ier siècle savaient ou imaginaient sur le ciel, les mers et les terres de l’extrême Germanie ou du nord. Leurs terreurs croissaient en proportion de leur ignorance; elles se résumaient en une seule idée et un seul mot : ces contrées étaient la fin du monde; en voulant y pénétrer, on insultait à la nature et aux dieux, on attirait sur soi la Némésis divine. Faire violence à la déesse Nature, chez les Grecs aussi c’était l’argument redoutable qu’on avait opposé aux promoteurs de certaines grandes entreprises, à ceux qui voulurent couper la Chersonèse de Thrace ou bien l’isthme de Corinthe. — Il y avait du moins une partie de la Germanie, l’ouest et le centre, que les généraux et les soldats romains avaient parcourue, et de laquelle ils rapportaient d’innombrables témoignages. Comment cette région plus voisine leur apparaissait-elle? Comment accueillaient-ils, alors qu’ils n’en étaient plus réduits à d’incomplètes visions ou à de vagues souvenirs, les plus habituelles manifestations d’une nature, d’un sol, d’un climat, qui hier encore leur étaient nouveaux? César, lui, composait un traité sur l’Analogie en traversant les Alpes, au lieu d’accorder quelque admiration aux grandioses beautés des montagnes ; Tacite et les écrivains du Ier siècle nous attesteront-ils une pareille froideur de la part de leurs contemporains en présence de la Germanie? La réponse à de telles questions ne laisse pas que d’être complexe : l’impression produite sur l’esprit romain n’a pas été ici, comme pour l’extrême nord, d’étonnement presque superstitieux d’abord, puis de crainte et d’horreur. Au contraire, à l’égard de la Germanie proprement dite, Rome a commencé par le mépris hostile, pour en venir ensuite à des impressions qui n’excluaient pas un certain respect. La progression est visible, et c’est ici encore un curieux chapitre à écrire d’histoire à la fois pittoresque et morale.

Quintilien nous rapporte que les soldats de César, avant de passer le Rhin, ne manquaient pas de faire leur testament. Toutefois la contrée nord-ouest, comprenant les rivages de la Mer du Nord, depuis ce fleuve jusqu’au Wéser, était devenue presque familière aux Romains avant toute autre portion de la Germanie, parce que, dans leur tentative de conquête, leurs chefs voulaient s’appuyer sur les flottes qui, par l’estuaire de l’Ems, apportaient du lac Flévo et du Rhin des approvisionnemens et des secours. Pline l’Ancien visita ces parages, et il faut voir quels sentimens lui inspirent les pauvres tribus qui les habitent. Une page de son Histoire naturelle, proba-