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J’ai décrit la coutume; elle sort d’anciens droits. L’union de la famille et de la terre est encore si intime qu’aussitôt affranchie, la terre volontairement cherche de nouvelles servitudes. L’affranchissement périodique ne se ferait peut-être même pas, si la terre ne portait de très lourdes charges, les pensions des veuves, les sommes à payer aux cadets, aux filles ; une aliénation partielle devient de temps à autre nécessaire, mais elle ne peut se faire que quand la terre est redevenue un moment tout à fait libre. On estime même que les charges de toute nature dévorent entièrement une propriété en trois générations, lorsqu’elle ne fait aucune recette extraordinaire, c’est-à-dire quand les mariages, les places, les profits du commerce, de la spéculation, ne ramènent point des capitaux à la famille.

La loi est aujourd’hui moins conservatrice que ne le sont les mœurs : elle favorise les aliénations de la terre; il n’y a aucun moyen légal de fixer, de consolider une propriété pour un temps qui embrasserait au-delà de l’existence d’une personne actuellement vivante et d’un laps supplémentaire de vingt et un ans. On ne peut rien donner aux enfans d’un être qui n’est pas né; on ne peut donner qu’à des vivans et aux enfans des vivans. Nulle générosité, nulle prévoyance ne peut traverser deux générations qui n’ont pas encore vie. La liberté de tester est complète dès qu’on possède une propriété affranchie de l’entaille. Toutefois nous avons vu comment la coutume ne rend la liberté absolue à la terre que pour la lui reprendre sans cesse; si une volonté unique ne lie plus toutes les générations à travers les siècles, cette volonté descend pour ainsi dire de génération en génération, se renouvelle, se rajeunit et lie les générations successives. Le droit d’aînesse, que les Normands firent entrer en Angleterre, est entré si profondément dans les mœurs que la liberté de tester le contredit rarement. La loi, quand un propriétaire meurt intestat, laisse la terre tout entière à l’aîné, mais ce cas est très rare ; l’habitude des testamens est universelle : c’est la volonté paternelle, bien plus que la loi, qui consacre le privilège des aînés. La propriété territoriale est le signe visible de la puissance, la richesse la plus stable, la plus enviée, la plus enveloppée de respects, de souvenirs, de prestige. La famille s’y attache comme le lierre à un mur; les cadets, lésés dans leurs intérêts matériels, trouvent des plaisirs d’imagination dans la grandeur croissante de leur nom et dans le sacrifice qu’ils font à leur race. On ne les entend jamais se plaindre; jeunes, ils sont trop généreux, et vieux trop fiers. Une sorte d’égalité avec ce qu’il y a de plus grand les console de l’inégalité des fortunes. La nation voit aussi dans le droit d’aînesse la force qui attache les jeunes gens aux loisirs trop faciles, les chasse du pays, les envoie